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Vini Ma®k N° 46 – avril 2024

Au menu de ce nouveau numéro de notre newsletter d’actualité du droit des marques et indications géographiques vitivinicoles : la jurisprudence toujours aussi fournie sur l’évocation illicite des indications géographiques par des marques, la notion d’exploitation viticole s’assouplit, la loi Evin fait déchanter Lady Gaga et de nouveaux Règlements européens en matière d’indications géographiques.

Evocation d’AOP par des marques : une jurisprudence de plus en plus favorable aux AOP

Les derniers numéros de Vinima®k se sont fait l’écho de la très nette tendance jurisprudentielle de ces dernières années à sanctionner des marques reproduisant ou imitant des AOP ou IGP viticoles sur le fondement des dispositions relatives à « l’évocation », notion très large permettant d’appréhender de nombreux cas de figure, au risque d’un excès et de ne plus invoquer que cette notion d’évocation alors que les textes prévoient d’autres cas d’atteintes.

Ainsi, après l’INPI dans la décision d’opposition COGNAPEA, évocation illicite de l’AOP Cognac alors pourtant que cette marque désignait du Cognac (INPI 26 août 2022), le Tribunal judicaire de Nanterre le 23 janvier 2023 sanctionnant l’usage de Cœur de Provence portant atteinte à l’AOP Côtes-de-Provence et la Cour d’appel de Paris dans l’affaire Côtes-du-Rhône vs NewRhône (CA Paris 26 mai 2013), l’INPI poursuit avec deux décisions récentes :

INPI 28 février 2024 Rasteau / Rasttel

L’INPI accueille favorablement l’opposition formée par le Syndicat des Vignerons de Rasteau contre une demande de marque RASTTEL désignant notamment des vins et boissons alcooliques.


L’INPI retient notamment qu’en raison des similitudes entre les signes (la marque RASTTEL « incorpore une partie de l’indication géographique RASTEAU ») et de l’identité et/ou la similarité des produits, « le signe RASTTEL contesté (…) apparaît de nature à susciter dans l’esprit du consommateur concerné un lien suffisamment direct et univoque avec l’AOP RASTEAU pour que ce consommateur ait directement à l’esprit, comme image de référence, un vin bénéficiant de cette AOP » et rejette donc la marque RASTTEL pour ces produits sur le fondement de l’article 103 2 b) du Règlement (UE) n° 1308/2013.

INPI 19 avril 2024 Côtes-du-Rhône / Bière Blonde du Rhône

L’opposition formée par le Syndicat Général des Vignerons Réunis des Côtes-du-Rhône contre une demande de marque française « Bière blonde du Rhône Imaginée comme un grand cru », visant des bières et non des vins, est accueillie favorablement par l’INPI, sur le fondement de l’article 103 2 b) du Règlement (UE) 1308/2013 tel que modifié par le Règlement (UE) 2021/2117 du 2 décembre 2021.

L’INPI énonce que la reprise des éléments « DU RHONE », caractéristiques de l’AOP Côtes-du-Rhône, associée aux termes IMAGINEE COMME UN GRAND CRU, est de nature à renforcer l’évocation : « Or, l’expression IMAGINEE COMME UN GRAND CRU du signe contesté, même si elle est susceptible d’échapper à l’attention du consommateur compte tenu de sa présentation, doit en tout état de cause être prise en considération en ce qu’elle laisse à penser que les ressemblances précitées avec l’AOP, notamment du fait des éléments DU RHÔNE et 69 dans le signe contesté, ne sont pas fortuites mais résultent d’une volonté de la société déposante de faire allusion aux vins réputés originaires de la région du Rhône, ainsi que le fait justement valoir l’opposant. »

l’INPI rappelle également qu’il y a évocation illicite même si une partie seulement – caractéristique – de l’appellation est reproduite.

Décision susceptible de recours

De son côté, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence dans un arrêt du 22 février 2024 rejette une demande de marque française L’OCCITANE désignant des vins en classe 33 au motif d’une atteinte à l’IGP (Indication Géographie Protégée) Pays d’Oc, cette appellation étant incorporée dans la marque litigieuse.

Encore un exemple d’appréciation très large de la notion d’évocation d’une indication géographique.

Contrefaçon de marque : les parties se lancent des noms d’oiseaux

Le Château de Tariquet, produisant notamment des vins d’IGP Côtes de Gascogne sous les marques PREMIERES GRIVES et DERNIERES GRIVES, assigne en contrefaçon d’anciens partenaires commerciaux ayant eu la lumineuse idée de déposer et d‘utiliser la marque FAUTE DE GRIVES, JE BOIS DU MERLE, détournement d’un célèbre adage.

red wine bottle and wine glass on wooden barrel

Tariquet n’ayant pas le même humour obtient leur condamnation non seulement pour contrefaçon des marques précitées mais aussi (et surtout) pour concurrence déloyale et agissements parasitaires (CA Paris 21 février 2024).

Exploitation viticole et étiquetage : la jurisprudence en assouplit les contours

Deux arrêts récents viennent apporter un éclairage fort utile à la définition de l’exploitation viticole et aux mentions qui peuvent être apposées sur les étiquettes des vins qui en proviennent.

C’est tout d’abord la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui, dans un arrêt Weingut du 23 novembre 2023, est venue énoncer qu’un viticulteur peut indiquer sur l’étiquette de son vin le nom de son exploitation viticole même si le pressurage a lieu dans les locaux d’un autre.

 Un viticulteur allemand utilisait les mentions « Weingut » (domaine viticole) et « Gutsabfüllung » (mis en bouteille au domaine) pour un vin produit à partir de raisins provenant de vignobles loués à 70 km de sa propre exploitation. Les vignes louées étaient cultivées par leur propriétaire selon les instructions du viticulteur. Une installation de pressurage était louée durant 24 heures pour la transformation des raisins en provenant, selon les pratiques oenologiques du viticulteur, qui transportait ensuite le vin obtenu vers son exploitation. Le Land de Rhénanie-Palatinat considère que le viticulteur ne peut pas utiliser les mentions ci-dessus, en particulier le nom de son exploitation, pour le vin vinifié dans les locaux de l’autre viticulteur. Le droit de l’Union exige en effet que le vin soit élaboré exclusivement à partir de raisins récoltés dans les vignobles cultivés par cette exploitation et que la vinification soit entièrement effectuée dans ladite exploitation; c’est la situation que l’on connaît en France avec nos fameuses marques dites domaniales. Saisie du litige, la Cour administrative fédérale allemande interroge la Cour de justice, qui observe d’abord que, selon le droit de l’Union, les mentions en cause sont réservées aux vins bénéficiant d’une AOP ou d’une IGP.
Il faut donc tout d’abord vérifier si les vignobles loués à 70 km de l’exploitation viticole sont eux aussi couverts par cette même AOP ou l’IGP. Par ailleurs, la Cour constate que la notion d’«exploitation » n’est pas limitée aux seules terres dont le viticulteur est propriétaire. Elle peut s’étendre, et c’est là l’intérêt de cette décision, à des vignobles loués et situés ailleurs pour autant que le viticulteur assume la direction effective, le contrôle étroit et permanent ainsi que la responsabilité des travaux de culture et de récolte des raisins.

Si ces mêmes conditions sont remplies pour le pressurage dans un pressoir loué pour une brève durée auprès d’une autre exploitation et pour autant que ce pressoir soit mis à la disposition exclusive de l’exploitation viticole éponyme, la vinification peut être considérée comme ayant été entièrement effectuée dans cette dernière.

Encore récemment, c’est le Conseil d’Etat en France qui, par son arrêt du 18 janvier 2024, met un terme à une véritable saga judiciaire entamée il y a près de 9 ans sur la problématique, fréquente en pratique, des contours de l’exploitation viticole résultant de la « réunion de plusieurs exploitations viticoles » au sens du décret du 4 mai 2012 relatif à l’étiquetage et à la traçabilité des produits vitivinicoles, et de l’usage de deux ou plusieurs marques domaniales (termes règlementés tels que « château », « domaine », « bastide », clos », etc…) par une seule exploitation viticole.

La SCEA Château Reillanne, exploitation viticole produisant des vins d’appellation Côtes-de-Provence sous la marque domaniale Château Reillanne, rachète la propriété voisine, produisant des vins sous la marque domaniale Château Marouine dans la même appellation.

Elle poursuit la commercialisation, à côté de ses vins Château Reillanne, de vins sous la marque Château Marouine alors que cette exploitation n’existe plus, ayant été fusionnée avec la SCEA Château Reillanne.

Il est interdit en principe, pour des vins provenant d’une seule et même exploitation viticole, d’utiliser deux marques domaniales (« château », « domaine », bastide », etc…) différentes alors qu’il n’y a qu’un chai (sauf exception bien connue de la cave coopérative, sorte d‘extension du château).

La Directe de Provence-Alpes-Côte d’Azur fait injonction au Château Reillanne en 2015 de modifier l’étiquetage de ses bouteilles en supprimant la mention Château Marouine.

L’affaire, de confirmation en infirmation, est examinée par le tribunal administratif de Toulon, la Cour administrative d’appel de Marseille, le Conseil d’Etat, de nouveau la Cour de Marseille puis de nouveau le Conseil d’Etat statuant définitivement sur second pourvoi en cassation.

L’arrêt est important car il apporte des précisions utiles en pratique sur l’article 8 du décret précité, dit « décret étiquetage », sur lequel se basait le Château Reillanne : il confirme que, suite à l’acquisition d’une exploitation viticole par une autre – les deux répondant, avant l’acquisition, à la définition d’exploitation viticole du décret précité – la nouvelle exploitation unique qui en résulte peut continuer à étiqueter deux vins différents sous les deux marques domaniales différentes sans qu’il soit pour autant nécessaire que les bâtiments et équipements de l’ancienne exploitation aient été repris, dès lors que les dispositions de l’article 6 du décret étiquetage (définition de l’exploitation viticole) sont respectées.

En l’espèce, le Château Reillanne assurant une vinification séparée du raisin provenant de l’ancien Château Marouine, le Conseil d’Etat confirme la licéité de la poursuite de l’exploitation de cette seconde marque domaniale ce qui à n’en pas douter aura des conséquences pratiques importantes, tout comme l’arrêt Weingut permettant d’étiquer un vin sous la marque domaniale de l’exploitation même si tout le raisin n’y a pas été pressuré.

La loi Evin fait déchanter Lady Gaga

L’Association Addictions France a encore frappé en faisant condamner des campagnes de publicité pour des boissons alcooliques dont une publicité pour un champagne Dom Perignon présenté par la star américaine Lady Gaga mais qui était une création commune.
Il ne s’agissait donc pas d’une publicité classique mais de la présentation d’une création commune par la créatrice, certes sous forme d’une communication en ligne. Las, Addictions France, sourde à cette mélodie, assigne Moët Hennessy Diageo et le Tribunal correctionnel de Paris la condamne pour publicité indirecte pour les boissons alcooliques, en application de la loi Evin, à une amende de 15 000 Euros.



Indications géographiques : de nouveaux textes européens

Après le Règlement (UE) n° 2023/2411 du 18 octobre 2023 relatif à la protection des indications géographiques pour les produits artisanaux et industriels, un nouveau texte très important vient d’être adopté à Bruxelles concernant les indications géographiques en matière de vin, de spiritueux et de produits agricoles et alimentaires :

Publication le 23 avril 2024 du Règlement (UE) 2024/1143 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 concernant les indications géographiques pour les vins, boissons spiritueuses et produits agricoles », qui consolide en un seul texte les 3 Règlements existants pour chacun de ces produits.
Il entrera en vigueur 20 jours après sa publication.
Avec le récent Règlement sur les indications géographiques des produits industriels et artisanaux, ces deux textes vont désormais régir le droit européen des Indications d’Origine, qui voient leur protection renforcée notamment vis-à-vis des noms de domaine de l’internet ou encore de leur usage en tant qu’ingrédients.

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