Vini Ma®k N° 47 – octobre 2024
Actualité juridique et judiciaire chargée au menu de ce nouveau numéro de notre newsletter d’actualité du droit des marques et indications géographiques vitivinicoles, avec notamment : la jurisprudence toujours aussi fournie sur l’évocation illicite des indications géographiques par des marques, un nouvel épisode de la jurisprudence Champagne et la confirmation de la quasi-impossibilité de protéger les formes de bouteilles à titre de marques tridimensionnelles en Europe.
Evocation d’AOP par des marques : une jurisprudence de plus en plus favorable aux AOP
Les derniers numéros de Vinima®k se sont fait l’écho de la très nette tendance jurisprudentielle de ces dernières années à sanctionner des marques reproduisant ou imitant des AOP ou IGP viticoles, et même une partie d’AOP ou IGP, sur le fondement des dispositions relatives à « l’évocation », notion très large permettant d’appréhender de nombreux cas de figure, au risque d’un excès et de ne plus invoquer que cette notion d’évocation alors que les textes prévoient d’autres cas d’atteintes.
Ainsi, après l’INPI dans la décision d’opposition COGNAPEA, évocation illicite de l’AOP Cognac alors pourtant que cette marque désignait du Cognac (INPI 26 août 2022), le Tribunal judicaire de Nanterre le 23 janvier 2023 sanctionnant l’usage de Cœur de Provence portant atteinte à l’AOP Côtes-de-Provence et la Cour d’appel de Paris dans l’affaire Côtes-du-Rhône vs NewRhône (CA Paris 26 mai 2023), de nouvelles décisions viennent étoffer cette jurisprudence et souligner la protection extrêmement large dont bénéficient en droit français et européens les indications géographiques, viticoles mais pas seulement.
EUIPO 30 mai 2024 Prosecco / PriSecco
L’Office européen accueille favorablement l’action en annulation formée par l’ODG de l’appellation d’origine italienne Prosecco contre une marque européenne PriSecco.
Si de prime abord la décision peut paraître sans surprise compte tenu des ressemblances importantes entre les signes, elle mérite l’attention en ce que la marque PriSecco était utilisée pour des cocktails non alcoolisés et à base de jus de pommes et/ou de poires.
Même pour de tels produits l’Office retient une évocation illicite de l’appellation Prosecco, le consommateur européen moyen étant susceptible d’établir un lien suffisamment clair et direct entre la marque contestée et le produit protégé par l’AOP.
EUIPO 28 août 2024 Toro / Badtoro
C’est d’Espagne que vient cette fois l’appellation objet de la décision rendue par la chambre de recours de l’EUIPO : TORO est une AOP espagnole enregistrée au niveau européen et son ODG forme opposition contre une demande de marque européenne BADTORO comportant un logo de taureau furieux.
L’Office retient que cette marque, dans laquelle se détache nettement le terme TORO, est une atteinte à l’appellation TORO pour des produits comparables et une exploitation injustifiée de la réputation de cette appellation.
EUIPO 18 septembre 2024 CHAMPAGNE / CHAMPAIGN
Un classique à présent : le CIVC est depuis longtemps à la pointe du combat pour faire respecter l’appellation Champagne partout dans le monde et a accumulé une jurisprudence impressionnante, utile à la défense de toutes les indications géographiques.
D’où la surprise de voir en 2023 l’EUIPO rejeter son opposition formée contre une demande de marque européenne déposée pour des ustensiles de cuisine.
De façon fort critiquable, l’Office considérait qu’en raison en particulier de la présence d’une spatule dans le logo aucune évocation illicite de la célèbre appellation n’était possible, malgré la prononciation identique à celle de Champagne en anglais.
Le CIVC a formé un recours et bien lui en a pris puisque, même si c’est pour une question de texte applicable et non sur le fond, la décision est annulée et l’affaire renvoyée devant l’Office pour nouvel examen de l’opposition.
AFNIC 10 septembre 2024, nom de domaine cotesdeprovence.fr
Le nom de domaine www.cotesdeprovence.fr porte atteinte à l’appellation Côtes de Provence.
Les décisions sanctionnant les atteintes à des indications géographiques par des noms de domaine de l’internet sont rares (champagnes.fr OMPI 4 juillet 2005 ; champagne-co.fr AFNIC 10 mars 2022 ; muscadet.fr AFNIC 2août 2017 ; porcelainefrancaisedelimoges.fr AFNIC 12 décembre 2023) aussi faut-il saluer la décision rendue par l’AFNIC (Agence Française pour le Nommage Internet en Coopération), dans le cadre d’une procédure dite EXPERT, ordonannt le transfert au Syndicat des Vins Côtes de Provence du nom cotesdeprovence.fr réservé, postérieurement au décret reconnaissant l’AOC Côtes de Provence, par une entité sans aucun intérêt légitime et tentant de le monnayer.
L’AFNIC retient que ce nom de domaine constitue « un détournement et un affaiblissement de la notoriété de l’appellation d’origine contrôlée Côtes de Provence » et ordonne son transfert au Syndicat.
C’est une victoire importante pour l’appellation et le Syndicat et les indications géographiques, viticoles ou non, voient leur protection renforcée contre leur réservatyion de mauvaise foi en tant que noms de domaine de l’internet.
Tribunal de l’Union européenne, 18 septembre 2024, CABRÓ !/ El CABRÓN
Retournons en Espagne pour cette fois un conflit entre marques vitivinicoles : le titulaire catalan de la marque de l’UE CABRO ! pour désigner des boissons alcooliques forme opposition à l’EUIPO contre la demande de marque de l’UE EL CABRON appartenant à une société espagnole.
La comparaison des signes est la suivante :
En espagnol, « cabrón » signifie notamment « bouc », tout comme « cabró » en catalan.
Les instances de l’EUIPO ayant donné raison à l’opposante et rejeté le signe contesté en raison d’un risque de confusion malgré des différences visuelles qui « ne passeraient pas inaperçues », son titulaire se cabre et forme un recours.
La requérante soutenait que si, certes, le terme espagnol « cabrón » signifie bien « bouc », tout comme son équivalent catalan « cabró », cette signification se serait perdu tant une autre signification, nettement plus triviale, serait très répandue en Espagne dans son sens de … « salaud » ou « connard ».
Le Tribunal ne fonce pas tête baissée et ne suit pas. Il estime que rien ne permet de considérer que le sens premier de mâle de la chèvre serait occulté et retient même que, si le public pertinent devait considérer « cabró » comme une version mal orthographiée de « cabrón », ce terme renverrait donc, lui aussi, à cette insulte courante en espagnol.
Pour une partie au moins du public espagnol, il y a donc selon le Tribunal une similitude conceptuelle, malgré les différents animaux représentés dans les marques, et un risque de confusion.
Tribunal judiciaire de Marseille, 5 septembre 2024, Chartreuse
Une affaire assez amusante qui voit la Compagnie Française de la Grande Chartreuse, liée à l’ordre religieux des Chartreux et exploitant la célèbre liqueur CHARTREUSE, poursuivre en justice le Cellier des Chartreux pour non-respect des stipulations d’un accord de coexistence entre les marques respectives, qui prévoyait notamment l’interdiction pour le producteur du vin de mettre CHARTREUX en exergue et « toute référence à/ou toute thématique commerciale ou publicitaire à même d’impacter directement ou indirectement l’image de l’Ordre des Chartreux et/ou de la religion chrétienne ».
Or en déposant et utilisant des marques telles que CHAMASUTRA, LES CHARTREUX PARTENT EN LIVE ou encore JE RESISTE A TOUT SAUF A LA TENTATION, cet engagement n’a pas été respecté, relève le Tribunal, qui prononce l’interdiction d’utiliser ces marques.
L’impossible protection des formes de bouteilles à titre de marques
Les formes peuvent théoriquement être protégées, outre par le dépôt d’un dessin ou modèle, par la voie de marques dites tri-dimensionnelles.
Mais en pratique, il est très compliqué et très rare d’obtenir un enregistrement de marque 3D pour une forme de contenant « nue », et cela est particulièrement vrai en matière de formes de bouteilles.
2 nouveaux exemples récents confirment cette quasi-impossibilité :
EUIPO 13 septembre 2024, Jack Daniel’s
La société titulaire de la célèbre marque de whisky Jack Daniel’s a essayé de protéger la forme de sa bouteille iconique en tant que marque 3D, sans étiquette.
L’Office refuse en considérant que le signe n’est pas distinctif et ne serait pas perçu comme une marque, ce que la chambre de recours confirme en estimant que cette forme ne serait pas une indication de l’origine du produit et donc ne pourrait pas former une marque valable.
Etonnant lorsque l’on connaît la notoriété de cette bouteille qui, même sans le nom Jack Daniel’s , semble identifier ce whisky pour une large majorité des gens.
EUIPO 18 septembre 2024, Carlsberg
Pas davantage de succès pour une forme de bouteille de bière déposée par la société danoise Carlsberg comme suit :
L’Office estime que cette forme ne diffère pas des normes du secteur et que les consommateurs prêtent davantage attention au nom de la bière qu’à la forme de la bouteille.
La marque est donc refusée à l’enregistrement.
Pour terminer : une nouvelle appellation en France
Laudun, longtemps nom de village complétant l’appellation Côtes-du-Rhône Villages, est officiellement devenue en septembre une appellation d’origine autonome et le 18ème cru des Côtes-du-Rhône.