Vini Ma®k N°17 – Septembre 2016
Après une trêve estivale, Vini Ma®k est de retour et se consacrera à un panorama de jurisprudence administrative (décisions d’oppositions de l’INPI) et judiciaire en matière de conflits entre marques vitivinicoles, poursuivant ainsi sa traditionnelle « balade oeno-judiciaire ».
L’été a vu un grand nombre de décisions intéressantes et à l’heure de la vendange, intéressons-nous aux plus significatives d’entre elles.
1 Pour commencer, et en guise de « clin d’œil » au récent congrès de l’AIDV qui s’est tenu en Toscane, arrêtons-nous quelques instants sur l’arrêt du Tribunal de l’Union Européen rendu le 14 avril 2016 dans le cadre d’une opposition formée contre l’enregistrement d’une marque PICCOLOMINI, sur la base d’une marque antérieure PICCOLO.
La société HENKELL & Co SEKTKELLEREI KG invoquait sa marque PICCOLO contre l’enregistrement de la demande de marque européenne PICCOLOMINI (nom d’une illustre famille de Sienne) déposée par la société CIACCI PICCOLOMINI D’ARAGONA DI BIANCHINI.
Ayant – classiquement – demandé des preuves d’usage de la marque antérieure PICCOLO, la déposante ne se satisfait pas des preuves d’usage fournies et pourtant acceptées par la Division d’opposition et forme un recours, couronné de succès. La Chambre de recours considère en effet que la marque PICCOLO n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux.
Le Tribunal est alors saisi d’une demande d’annulation de la décision précitée.
La question est tout à fait intéressante car la société opposante invoquait un certain nombre de documents prouvant un usage du terme « PICCOLO » ou « PIKKOLO » dans différents Etats membres de l’Union Européenne pour la période considérée, mais le Tribunal considère que « indépendamment de la question de savoir si le terme PICCOLO est un terme technique utilisé dans le secteur des entreprises vinicoles ou s’il est également employé couramment pour la commercialisation de vins mousseux auprès du consommateur moyen de vins », il relève avant tout que les modalités d’usage de ce signe sur les bouteilles de vins mousseux n’est pas un usage à titre de marque, lequel a pour fonction essentielle de donner une indication de l’origine commerciale du produit concerné.
Le Tribunal relève que le terme « PICCOLO » (ou « PIKKOLO ») apparaît comme un élément accessoire des étiquettes et n’a qu’une fonction descriptive de la taille de la bouteille. Au contraire, c’est le terme « HENKELL » qui est prédominant du fait de sa taille et de son positionnement et qui est perçu comme une indication de l’origine commerciale du produit.
Le recours est donc rejeté.
2 Restons quelques instants à l’étranger pour un nouvel épisode de la « saga BUD », tenant en haleine nos lecteurs depuis des années.
La société de droit tchèque BUDEJOVICKY BUDVAR NARODNI PODNIK se prévaut d’une appellation d’origine BUD enregistrée à l’OMPI dès 1975, et a signalé à la DGCCRF la distribution en France de bières d’origine américaine revêtues de la marque BUD par la société BRASSERIES KRONENBOURG, laquelle a été invitée par le DGCCRF à mettre fin à l’utilisation de cette dénomination.
KRONENBOURG a alors assigné la société BUDVAR en invalidation de l’appellation d’origine BUD sur le territoire français (et en concurrence déloyale).
La Cour de cassation, dans son arrêt du 29 juin 2016, rejette le pourvoi formé contre l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar du 6 novembre 2013, lequel avait accueilli l’action en invalidation de l’appellation d’origine BUD sur le territoire français.
La Cour de Cassation approuve notamment la Cour d’appel d’avoir relevé que la dénomination BUD ne remplissait pas les conditions légales pour être protégée comme appellation d’origine avant le 31 octobre 2004 et d’avoir considéré que le distributeur de la bière de marque BUD, ayant subi du fait de l’enregistrement de cette appellation d’origine un trouble dans la jouissance de son droit d’exploiter le contrat de distribution, avait un intérêt légitime à défendre le droit de demander l’invalidation devant les juridictions françaises.
3 Intéressons-nous enfin à une décision de la Division d’opposition de l’INPI en date du 27 mai 2016, dans une espèce un peu particulière puisqu’elle opposait un organisme régional du Portugal, la COMMISSION DE VITICULTURE DE LA REGION DES VINS VERTS (VINHOS VERDES), titulaire de la marque VINHO VERDE PORTUGAL, à une marque française postérieure LUZ VERDE.
Le VINHO VERDE est le fameux vin vert portugais.
L’intérêt de cette décision consiste en la comparaison des signes, à l’issue de laquelle l’INPI considère que la seule présence du terme commun « VERDE » ne suffit pas à elle seule à engendrer un risque de confusion entre les signes en raison de l’impression d’ensemble différente qui en résulte. LUZ VERDE n’est donc pas une déclinaison de la « marque bien connue VINHO VERDE ».
4 Rendons-nous à présent dans nos terroirs pour notre nouvelle et rapide « balade oeno-judiciaire », qui débute dans la région de Cahors, avec l’opposition formée par le titulaire de la marque bien connue LAGREZETTE, contre une marque postérieure LA GAZETTE. L’opposition visait non seulement des vins et boissons alcooliques mais également des bières et apéritifs sans alcool en classe 32, considérés comme similaires.
Mais c’est sur la comparaison des signes que l’INPI rejette l’opposition, considérant que les différences entre LA GAZETTE et LAGREZETTE sont suffisantes pour exclure un risque de confusion.
5 Arrêtons-nous à présent à Bordeaux, où la jurisprudence en matière de marques vitivinicoles est toujours aussi abondante:
– INPI, 23 juin 2016 : opposition CHATEAU LATOUR / LA TOUR DU JAS : la reprise des éléments d’attaque « LA TOUR » dans le signe contesté ainsi que l’identité des produits en cause, auxquelles doit être ajoutée la notoriété de la marque antérieure CHATEAU LATOUR, conduisent l’INPI à retenir l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public et à rejeter la demande de marque LA TOUR DU JAS, cette décision s’inscrivant donc dans une longue jurisprudence ayant vu de nombreuses tours prises d’assaut par le passé.
– INPI, 25 juillet 2016 : deux intéressantes décisions à l’initiative de la société CAUDALIE, titulaire de la marque bien connue CAUDALIE, et de la société LES SOURCES DE CAUDALIE, titulaire de la marque éponyme (avec un logo), s’opposant à une demande de marque française LA BELLE CAUDALIE en classes 32 et 33.
La dénomination CAUDALIE étant considérée par l’INPI comme « parfaitement distinctive au regard des produits en cause », ce dernier considère que la marque LA BELLE CAUDALIE constitue donc à la fois l’imitation de la marque antérieure CAUDALIE et de la marque antérieure LES SOURCES DE CAUDALIE.
L’on peut considérer que le caractère distinctif du terme « CAUDALIE », en soi, était au contraire discutable, mais que son utilisation « dérivée » et sa notoriété à présent palliaient ce relatif manque de caractère distinctif initial.
– INPI, 26 juillet 2016 : c’est cette fois la société BARON PHILIPPE DE ROTHSCHILD, sur la base de sa marque verbale BARON, qui fait opposition à l’encontre d’une demande de marque postérieure LES BARONS DE BORDEAUX.
La présence du terme commun « BARON(S) » est suffisante aux yeux de l’INPI pour caractériser un risque de confusion entre les deux signes et pour rejeter la demande de marque LES BARONS DE BORDEAUX, considérée comme constituant l’imitation de la marque antérieure BARON.
Du côté de Saint-Emilion, signalons l’opposition CHATEAU TRIANON vs LA BIERE DU TRIANON.
L’intérêt de cette décision est que l’opposition vise exclusivement des bières et que l’INPI s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence vitivinicole très protectrice puisque cette décision considère que les bières et les vins sont des produits tout à fait similaires. Il est vrai que le déposant n’avait pas déposé d’arguments.
6 Enfin, au niveau judiciaire cette fois, la Cour d’Appel de Bordeaux a rendu le 18 août 2016 un arrêt fort intéressant en matière de conflits entre marques vitivinicoles comportant un prénom/nom patronymique.
Il s’agissait en l’espèce de la marque BERENICE LURTON, déposée par Madame Bérénice LURTON en classe 33, opposée à une marque postérieure CHATEAU BERENICE (ainsi qu’à la raison sociale de la SCEA CHATEAU BERENICE).
Le TGI de Bordeaux, par jugement du 13 mai 2014, a débouté Madame Bérénice LURTON ainsi que la SOCIETE FERMIERE DU CHATEAU CLIMENS, licenciée de la marque, de toutes leurs demandes. Un appel est formé.
La Cour considère tout d’abord que dans la marque BERENICE LURTON, le nom LURTON auquel le prénom Bérénice est associé « ne peut être considéré comme pourvu d’une valeur distinctive moindre que le prénom Bérénice, lequel ne présente pas une originalité ni une rareté d’usage en France et n’apparaît pas comme dominant » et que l’impression d’ensemble présentée par le signe CHATEAU BERENICE est différente de celle de BERENICE LURTON.
La Cour considère donc que le risque de confusion, nécessaire à la réalisation du grief de contrefaçon, n’est pas démontré et confirme le jugement de première instance.
De même sur la concurrence déloyale, invoquée par la SOCIETE FERMIERE DU CHATEAU CLIMENS en tant que licenciée de la marque BERENICE LURTON : ses demandes sont rejetées et le jugement de première instance confirmé.
7 Poursuivons notre balade dans la région des Côtes du Rhône.
Le 5 juillet 2016, l’INPI accueillait favorablement l’opposition formée par la SARL VIGNOBLES ALAIN JAUME ET FILS, sur la base de sa marque verbale GELINOTTE, contre une demande de marque française PETITS BOIS DE LA GENILLOTTE.
Considérant que les termes « PETITS BOIS DE LA » seraient accessoires comparés à « GENILLOTTE » et que ce dernier terme serait proche de « GELINOTTE », ce qui n’est pas tout à fait faux, il existerait un « risque de confusion sur l’origine de ces marques pour le public concerné ».
L’opposition est donc accueillie.
8 Même succès pour la société M CHAPOUTIER, titulaire de la marque verbale L’ERMITE, opposée à une demande de marque postérieure CUVEE DES 3 ERMITES.
Par décision rendue le 13 juillet 2016, l’INPI retient que les produits désignés par la demande de marque contestée en classes 32 et 33 sont similaires ou identiques à ceux couverts par la marque antérieure de la société M CHAPOUTIER, et retient surtout un risque de confusion dû à la présence du terme « essentiel ERMITE » par chacune des deux marques. Aux yeux de l’INPI, le signe contesté peut apparaître comme une déclinaison de la marque antérieure.
9 Enfin, terminons notre balade oeno-judiciaire en Champagne, source également d’un contentieux abondant.
Signalons tout d’abord la suite de la « saga TAITTINGER », dont Vini Ma®k se faisait l’écho dans son numéro de mai 2015.
La SAS TAITTINGER entendait faire interdiction à Madame Virginie TAITTINGER, ancienne salariée du groupe et membre de la famille éponyme, d’utiliser toute référence à la marque TAITTINGER alors même que la marque qu’elle avait déposée et utilisée était VIRGINIE T. Aucune mauvaise foi n’était retenue à l’encontre de Madame Virginie TAITTINGER en première instance.
Sur appel formé par la SAS TAITTINGER, la Cour d’appel de Paris, par son arrêt du 1er juillet 2016, relève que Madame Virginie TAITTINGER, pour promouvoir son champagne et sa marque VIRGINIE T, utilisait néanmoins le terme « TAITTINGER » tant sur son site Internet dédié à la vente du champagne que dans le cadre de ses déclarations à la presse liées à la promotion de son champagne.
De même, un certain nombre de noms de domaine comportant le patronyme TAITTINGER avaient été réservés par Madame Virginie TAITTINGER et redirigeaient vers le site Internet VIRGINIE T. La Cour considère qu’il y a là une violation d’une convention de cession de titre qui avait été précédemment conclue, mais nullement une atteinte à la marque antérieure TAITTINGER, ni une atteinte à la dénomination sociale et au nom commercial de la société TAITTINGER.
En d’autres termes, seule la responsabilité contractuelle de Madame Virginie TAITTINGER est retenue.
10 La société CHAMPAGNE LOUIS ROEDERER, de son côté, a fait rejeter par l’INPI, dans sa décision du 10 juin 2016, une demande de marque française CRYSTAL qui avait, il faut bien le dire, fort imprudemment été déposée compte tenu de la notoriété de la marque antérieure CRISTAL de la société ROEDERER.
Sans surprise, l’opposition est accueillie favorablement.
Enfin, la décision d’opposition de l’INPI en date du 10 août 2016 dans une affaire NAPOLEON mérite également l’attention.
La société CH. & A. PRIEUR, titulaire de la marque antérieure NAPOLEON, s’opposait à la société BRASSERIE PIETRA ayant déposé une marque identique NAPOLEON, mais en classe 32 uniquement pour des « bières, des apéritifs sans alcool, des eaux minérales, jus de fruits, sirops et sodas ».
La marque antérieure NAPOLEON désignant des « vins de Champagne » a pu être opposée avec succès à cette marque mais uniquement pour les « bières et apéritifs sans alcool », et non pour les autres produits.
Cette décision s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence assez classique en la matière, les boissons non alcoolisées – autres que les apéritifs sans alcool – étant généralement considérées comme non similaires aux boissons alcooliques.
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