Juin 2014

1 Jurisprudence : CHEVAL BLANC saute des obstacles supplémentaire

Nous assistons depuis quelques années à un feuilleton judiciaire très intéressant dans le Bordelais, la saga CHEVAL BLANC, célébre Saint-Emilion grand cru classé A, qui voit la société CHATEAU CHEVAL BLANC faire considérablement avancer le droit des marques viticoles depuis quelques années.

Citons quelques développements récents :
le 25 novembre 2013, la Cour d’Appel de Bordeaux rendait un arrêt dans l’affaire CHATEAU CHEVAL BLANC vs CLOS DU CHEVAL BLANC et CHATEAU GALET CHEVAL BLANC.

Le TGI de Bordeaux avait reconnu le droit des titulaires de cette marque au toponyme CHEVAL BLANC pour leur exploitation viticole située sur un lieu-dit ainsi dénommé.

Sur appel de la société CHATEAU CHEVAL BLANC, la Cour censure le TGI en retenant que les propriétaires de la marque CLOS DU CHEVAL BLANC n’exploitaient que 2 hectares de vignes sur des terres figurant au cadastre au lieu-dit CHEVAL BLANC, alors que leur exploitation s’étendait à plus de 21 hectares.

La Cour retient ainsi que les parcelles CHEVAL BLANC ne représentent qu’un faible pourcentage du vignoble par eux exploité. Or, d’après la Cour, « pour éviter toute tromperie du public sur l’origine du produit, une marque de vin comprenant un toponyme doit correspondre à une production provenant de parcelles portant elles-mêmes ce toponyme et représentant un pourcentage important du vignoble exploité ou faisant l’objet d’une vinification séparée ».

La Cour prononce dès lors la nullité pour déceptivité de la marque CLOS DU CHEVAL BLANC.

A peine quelques jours plus tard, le 2 décembre 2013, la même Cour d’Appel de Bordeaux, toujours à l’initiative de la société CHATEAU CHEVAL BLANC, venait conforter la protection de la marque CHATEAU CHEVAL BLANC, contre une marque CHATEAU LES HOMMES CHEVAL BLANC & logo.

Dans ce cas également, seul un faible pourcentage du vignoble des titulaires de cette marque avait droit au toponyme CHEVAL BLANC, rendant ainsi la marque CHATEAU LES HOMMES CHEVAL BLANC trompeuse, même si le vin du défendeur était un vin d’AOC Côtes de Bourg.

La marque CHATEAU LES HOMMES CHEVAL BLANC est donc annulée par la Cour pour déceptivité.

Enfin, le 7 janvier 2014, la Cour de Cassation venait parachever cette construction jurisprudentielle dans l’affaire CHEVAL BLANC vs DOMAINE DU CHEVAL BLANC et CHATEAU RELAIS DU CHEVAL BLANC, dont nous commentions l’arrêt d’appel lors de notre précédente balade.

La marque CHATEAU RELAIS DU CHEVAL BLANC avait été annulée par la Cour d’Appel, mais pas la marque DOMAINE DU CHEVAL BLANC. La Cour de Cassation reproche à la Cour d’Appel de n’avoir pas répondu aux conclusions de la société CHEVAL BLANC soutenant que « la marque DOMAINE DU CHEVAL BLANC était de nature à tromper le consommateur sur la qualité et la provenance du vin désigné sous cette marque en lui faisant croire qu’il s’agirait d’un second vin du vin premier grand cru classé A CHEVAL BLANC ».

De même, la Cour de Cassation reproche à la Cour d’Appel de n’avoir pas annulé cette marque CHATEAU RELAIS DU CHEVAL BLANC alors qu’il n’y avait aucune preuve d’une vinification séparée sous ce nom, conformément au fameux décret du 7 janvier 1993 sur les « seconds vins ».

Ces trois récentes décisions CHEVAL BLANC font incontestablement gagner au concept de déceptivité des marques viticoles ses lettres de noblesse, cette construction jurisprudentielle étant particulièrement utile à l’ensemble des exploitations viticoles à travers la France, se heurtant souvent au problème récurrent d’une homonymie partielle que certains concurrents indélicats essaient trop facilement de détourner par le simple ajout d’un autre terme, rendant souvent impossible une condamnation au titre de la contrefaçon stricto sensu.
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Il n’est pas nécessaire d’être grincheux pour promouvoir le vin

C’est en tout cas ce qu’il faut retenir de la très intéressante décision rendue par la Cour d’Appel de Versailles le 3 avril 2014, dans une affaire où l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie – ANPAA, poursuivait, devant la Cour d’Appel de Versailles, le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) et la société INSERT, après un arrêt de la Cour de Cassation du 23 février 2012 renvoyant les parties à Versailles.

Le CIVB avait en effet orchestré une campagne promotionnelle pour les vins de Bordeaux comprenant 7 visuels, affichés à Paris.

Sur ces affiches figuraient notamment de jeunes femmes et de jeunes hommes, tenant tous un verre à pied à demi rempli de vin rouge ou de vin blanc, souriants mais pas trop, les affiches mentionnant leur profession (par exemple « négociant » ou « viticultrice à Bordeaux ») et présentant des vins de diverses appellations du Bordelais.

L’ANPAA voyait dans ces affiches mettant en scène des groupes de personnes souriants, jeunes, en tenue de ville et avec « une impression manifeste de plaisir », une « incitation à absorber la boisson alcoolique », par définition illicite, en raison de la « représentation de la convivialité associée à une boisson alcoolique ».

La Cour d’Appel de Versailles, dans une décision de bon sens et dont il convient de se féliciter, rejette cette vision des choses il est vrai assez excessive et ne correspondant manifestement pas à la réalité du message promotionnel véhiculé par cette campagne.

La Cour relève notamment que « les personnages représentés sont des membres de la filière de production et de commercialisation des vins de Bordeaux et ne sont donc pas assimilables aux consommateurs. »

Le texte figurant sur les affiches est également explicite sur les conséquences pour la santé.

Par ailleurs, le fait que le verre soit à demi rempli (c’était déjà trop, semble-t-il, pour l’ANPAA) ne dépasse pas les limites fixées par le texte du Code de la Santé Publique.

En outre, la Cour retient que « les personnages sont montrés dans une attitude relativement réservée par rapport au verre qu’ils tiennent à la main et à son contenu, sans invite, en particulier, à un partage du produit avec le public ».

Enfin, il est savoureux de lire sous la plume des magistrats, que les annonceurs ne sauraient être tenus « sous le prétexte de satisfaire aux exigences légales, de représenter des professionnels grincheux, au physique déplaisant et paraissant dubitatifs sur les qualités de produits à la couleur indéfinissable, afin d’éviter au consommateur toute tentation d’excès ».

Dans une société peuplée de plus en plus d’interdits, cette décision est heureuse.

L’appellation BORDEAUX en route vers sa reconnaissance en Chine

Après notamment l’appellation CHAMPAGNE, enregistrée en tant qu’indication géographique par la Chine en 2013, l’appellation BORDEAUX devrait à son tour être prochainement reconnue comme indication géographique en Chine.

A la fin du mois de mars 2014, la Chine a en effet annoncé l’ouverture de la procédure de reconnaissance de l’indication géographique BORDEAUX.

Cette annonce, faite à la suite d’une visite à Pékin du ministre français de l’Agriculture, Stéphane LE FOLL, est une excellente nouvelle pour le vignoble bordelais, pour lequel la Chine est de loin le marché le plus important et qui est toujours victime de nombreuses contrefaçons de ses marques.

Cette reconnaissance particulièrement attendue permettra à l’ensemble de la filière viticole bordelaise de bénéficier d’une meilleure protection de l’appellation BORDEAUX en Chine, qui s’ajoutera aux effets bénéfiques attendus de la nouvelle loi des marques en Chine, entrée en vigueur le 1er mai 2014.
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Actualité jurisprudentielle des marques vitivinicoles : homonymie

Deux cas récents de conflits entre homonymes méritent d’être signalés :
Premier cas : le 13 novembre 2013, la chambre commerciale de la Cour de Cassation ajoutait un épisode à la saga POYFERRÉ.

Il s’agit d’une intéressante question de nom patronymique mais également de déceptivité de marques vitivinicoles, concept qui se dégage en jurisprudence depuis quelques années et devient un palliatif très utile lorsque la contrefaçon n’est pas reconnue.

Les consorts de POYFERRÉ, produisant un Bas-Armagnac sous la marque BARON DE POYFERRÉ, ont assigné le célèbre CHATEAU LÉOVILLE POYFERRÉ, grand cru classé de Saint-Julien, qui avait procédé au dépôt des marques PAVILLON DE POYFERRÉ et LES CONTES DE POYFERRÉ. La Cour d’Appel, approuvée par la Cour de Cassation, considérait que suite à des démembrements intervenus dans la famille de POYFERRÉ, le CHATEAU LÉOVILLE POYFERRÉ n’avait le droit d’utiliser le patronyme POYFERRÉ qu’accolé au toponyme LÉOVILLE, les marques PAVILLON DE POYFERRÉ et LES CONTES DE POYFERRÉ portant par conséquent atteinte à la marque BARON DE POYFERRÉ et, surtout, atteinte au patronyme de POYFERRÉ.

En revanche, la Cour casse l’arrêt d’appel sur la question de la déceptivité, reprochant à la Cour d’Appel de n’avoir pas recherché « si la marque BARON DE POYFERRÉ, enregistrée également pour désigner des vins, n’était pas de nature à tromper le public en lui faisant croire à l’existence d’un lien avec le vin classé deuxième grand cru de Saint-Julien produit sous la dénomination CHATEAU LÉOVILLE POYFERRÉ ».

Cet arrêt est également intéressant sur la question de la forclusion par tolérance, prescription propre aux marques enregistrées, puisque la Cour reproche à la Cour d’Appel de n’avoir pas caractérisé la tolérance dont aurait fait preuve le CHATEAU LÉOVILLE POYFERRÉ et qui rendrait irrecevable son action en contrefaçon.
Cette saga fait incontestablement progresser le droit des marques viticoles.

Second cas : le 30 janvier 2014 était rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris, 3ème chambre 4ème section, un intéressant jugement opposant la société californienne E. & J. GALLO WINERY à la SCEV CHAMPAGNE GALLO.
La société américaine E. & J. GALLO WINERY, titulaire d’une marque communautaire GALLO, avait assigné la société CHAMPAGNE GALLO, lui reprochant (i) des actes de contrefaçon de sa marque GALLO et (ii) des actes de concurrence déloyale.

Se défendant, la société CHAMPAGNE GALLO invoquait notamment la déchéance faute d’usage de la marque GALLO, estimant que la société E. & J. GALLO WINERY n’utilisait que la marque GALLO family.

Ce jugement est intéressant à plus d’un titre.
Sur la déchéance faute d’usage, le TGI retient que l’usage de GALLO family vaut usage de GALLO, le terme « family » n’en altérant pas le caractère distinctif.

Il était également argué de ce que la société E. & J. GALLO n’utilisait la marque que pour des vins, qui plus est vendus en grandes surfaces, et non pour du champagne stricto sensu, produit pour lequel la déchéance était demandée. Le TGI rappelle que le « vin de Champagne doit être considéré comme un vin », qu’il en a la même nature et la même destination et qu’il relève donc des produits désignés par la marque antérieure GALLO en classe 33, la société E. & J. GALLO commercialisant des vins, même s’il ne s’agissait pas de vins d’appellation d’origine Champagne.

Sur la contrefaçon, le TGI, de façon assez surprenante mais pas inéquitable, retient un usage fort ancien du nom de GALLO à titre de marque, dès 1984, par le fondateur de la société éponyme.
Malgré l’identité des signes, le TGI retient que les vins de la société E. & J. GALLO sont proposés à la vente à des prix très bas, contrairement aux champagnes GALLO « de sorte que ces produits ne se retrouvent pas dans la même catégorie de prix », « ne se trouvent pas en situation de concurrence, n’empruntant pas les mêmes réseaux de distribution » et que dès lors il s’agit de produits « identifiables par les consommateurs comme étant produits par des entités différentes ».
Invoquant en outre le long usage antérieur et de bonne foi de la marque CHAMPAGNE GALLO, sans pour autant qu’il y ait eu de dépôt de marque, le TGI conclut que « l’utilisation par la société CHAMPAGNE GALLO du signe GALLO pour désigner du vin de Champagne ne porte pas atteinte à la fonction d’identification des produits proposés par la société E. & J. GALLO sous sa marque communautaire » et déboute la société E. & J. GALLO de sa demande de contrefaçon.

C’est donc à l’aune du concept de la fonction de la marque qu’est rendue cette décision, contraire à de nombreuses décisions précédentes, notamment de l’INPI en matière d’oppositions, qui ne tiennent, elles, aucun compte de la différence des appellations, des prix, des clientèles, etc.

En l’espèce, la bonne foi de CHAMPAGNE GALLO a joué en sa faveur, même s’il n’est pas certain que cette décision soit totalement orthodoxe.

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