Mars 2016

Cairanne accède au rang de Cru

Cairanne, village pittoresque du Vaucluse qui jusqu’à présent pouvait faire figurer son nom à côté de l’appellation Côtes du Rhône Village, vient d’accéder au rang prestigieux de Cru des Côtes du Rhône, c’est-à-dire d’appellation d’origine protégée.

C’est l’aboutissement d’un long travail, puisque le dossier avait été déposé à l’INAO dès 2008.

Cairanne est désormais une appellation à part entière, aussi bien en rouge qu’en blanc.
bouteille, verre et grappe

 

Jurisprudence

Ce mois-ci, nous poursuivons notre « balade oeno-judiciaire » à travers nos terroirs pour un état de la toute dernière jurisprudence en matière de conflits entre marques vitivinicoles.

Débutons notre périple en Champagne, région toujours très active pour la défense non seulement de l’appellation éponyme mais également des différentes marques qui en font la richesse.

Le 19 février 2016, l’INPI a rendu, sur opposition de la société CHAMPAGNE LOUIS ROEDERER, une décision reconnaissant un risque de confusion entre sa célèbre marque CRISTAL et une demande de marque française CIDRE CRISTAL déposée, comme indiqué dans la marque, pour désigner des « cidres », également répertoriés dans la classe internationale 33.

Fidèle à sa jurisprudence considérant tous les vins comme des produits identiques, mais même au-delà toutes les boissons alcooliques comme des produits similaires, l’INPI considère que les cidres et les vins de Champagne seraient des produits « identiques » à ceux de la marque antérieure, ce qui paraît tout de même quelque peu osé. Retenir la similarité aurait probablement été plus adapté, bien que tout de même le consommateur français d’attention moyenne, surtout dans un pays de longue tradition viticole, sache parfaitement faire la différence entre le vin d’une part, et le cidre d’autre part.

champagne flute

Il est probable que la grande notoriété de la marque CRISTAL a joué, puisque sur la comparaison des signes, l’INPI retient une identité du terme caractéristique CRISTAL et, au final accueille favorablement l’opposition et rejette la demande de marque CIDRE CRISTAL.

Une semaine plus tard, l’INPI se prononce également sur un conflit entre une marque de Champagne et une marque désignant des vins d’une autre région, à savoir le Bordelais.

La société VRANKEN-POMMERY PRODUCTION, titulaire de la marque LA DEMOISELLE désignant des « vins de provenance française, à savoir Champagne », fait opposition à l’encontre d’une demande de marque française MADEMOISELLE DE BORDEAUX, désignant des vins bénéficiant d’un grand nombre d’appellations d’origines protégées du Bordelais, ce qui figurait expressément dans le libellé.

L’INPI considère que l’ensemble de ces produits sont, non pas des produits identiques, mais des « produits similaires », ce qui, encore une fois, est fidèle à sa jurisprudence actuelle, même si parfois critiquable.

Sur la comparaison des signes, l’INPI considère ensuite que la demande de marque MADEMOISELLE DE BORDEAUX constitue une imitation de la marque antérieure LA DEMOISELLE, « les éléments MADEMOISELLE et DEMOISELLE (étant) distinctifs au regard des produits en cause » et présentant un caractère dominant.

Quant à l’adjonction des termes DE BORDEAUX, elle est considérée comme insusceptible d’éviter une imitation de la marque antérieure LA DEMOISELLE par la marque MADEMOISELLE DE BORDEAUX.

Rendons-nous à présent en Côtes-du-Rhône, plus précisément dans l’appellation Côte-Rôtie, où l’un de ses porte-drapeaux, la société E. GUIGAL, agissait contre une SOCIETE COOPERATIVE AGRICOLE DE VINIFICATION LES VINS DE ROQUEBRUN, dans l’Hérault, pour ce qui est la suite d’un long feuilleton judiciaire.

En effet, après avoir été condamnée pour contrefaçon suite à l’usage d’une marque LES TERRASSES DE LA MOULINE, contrefaisant la célèbre marque LA MOULINE de la société E. GUIGAL, la COOPERATIVE LES VINS DE ROQUEBRUN a imaginé d’utiliser une marque légèrement différente, à savoir TERRASSES DE MAYLINE.

terrasses de maylane

Le TGI de Paris, dans son jugement du 29 janvier 2016, considère que, si certes des vins d’appellation d’origine contrôlée Saint-Chinian et des vins d’appellation d’origine contrôlée Côte-Rôtie sont des produits similaires au sens du « consommateur final de vins », en revanche il n’existe aucune similitude entre les marques LA MOULINE et TERRASSES DE MAYLINE, excluant tout risque de confusion et donc toute contrefaçon.

Rendons-nous à présent à Bordeaux pour la décision de la Cour d’Appel de Paris rendue le 9 février 2016, sur recours contre une décision d’opposition de l’INPI, dans une affaire mettant aux prises le titulaire de la marque CHATEAU LAFLEUR, pour des vins d’appellation d’origine Pomerol, au déposant d’une marque CHATEAU LAFLEUR NAUJAN en classes 32 et 33.

Il s’agit d’une problématique classique, à savoir la coexistence, ou non, de marques vitivinicoles comportant un toponyme ou un patronyme identique mais avec un terme supplémentaire sensé les distinguer suffisamment, ce que l’on trouve tout particulièrement dans le Bordelais.

Or l’INPI comme la Cour d’Appel considère que l’adjonction de NAUJAN à la marque CHATEAU LAFLEUR n’est pas suffisante pour éviter un risque de confusion, la marque CHATEAU LAFLEUR NAUJAN risquant « d’être perçue par le consommateur d’attention moyenne (…) comme une déclinaison de la marque CHATEAU LAFLEUR, peu important l’existence d’autres marques comportant des déclinaisons similaires ».

Si l’on peut saluer la protection dont bénéficie la marque CHATEAU LAFLEUR, il s’agit tout de même d’une décision assez sévère, qui entraîne une certaine incertitude dans la protection des marques vitivinicoles, puisqu’encore une fois, de nombreuses marques cohabitent avec un toponyme ou un patronyme commun et l’adjonction d’un terme, souvent exigée par les tribunaux eux-mêmes, pour précisément réglementer leur coexistence et éviter une confusion.

Toujours à propos de coexistence, citons une intéressante décision de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence en date du 28 janvier 2016, dans un litige se situant dans le Minervois.

Comme souvent en matière vitivinicole, des homonymes coexistent de façon plus ou moins heureuse, en l’espèce plutôt moins concernant la marque DOMAINE DES ASTRUC, qui assigne la SCEA BRUNO ASTRUC utilisant et déposant les marques CHATEAU SAINTE EULALIE ASTRUC et CHATEAU ASTRUC SAINTE EULALIE.

Après que le Tribunal ait prononcé en première instance la nullité des marques DOMAINE DES ASTRUC et ASTRUC en raison du simple nom commercial antérieur CHATEAU SAINTE EULALIE ASTRUC, la Cour infirme cette décision puis examine la question de la contrefaçon, et retient qu’en l’espèce il n’y a pas contrefaçon en excluant tout risque de confusion de la part du public, alors même pourtant qu’en cette espèce, les vins portent la même appellation Minervois, contrairement à beaucoup d’autres décisions de jurisprudence plus sévères.

La Cour retient également que les différents membres de la famille ASTRUC doivent pouvoir « légitimement faire usage du mot ASTRUC », se basant enfin sur la distance « d’une cinquantaine de kilomètres » qui « renforce encore l’absence de risque de confusion ».

Restons dans le Languedoc avec une décision d’opposition de l’INPI en date du 22 janvier 2016 assez curieuse, portant sur des marques exclusivement numériques : une société mexicaine titulaire d’une marque 1800 a fait opposition à l’encontre d’un dépôt de marque pour 1806.

Passons sur l’identité des produits retenue par l’INPI, pour examiner la comparaison des signes, qui d’après l’INPI ne créerait aucun risque de confusion aux motifs que « s’agissant de nombres, le consommateur appréhendera les marques en cause dans leur ensemble comme faisant référence à un nombre bien défini, de sorte qu’il portera autant d’attention à chacun des chiffres les composant ».

Malgré la seule substitution du chiffre 6 au chiffre 0 en position finale, l’INPI rejette l’opposition en considérant qu’il n’y a pas de risque de confusion, ce qui est pour le moins surprenant.

Terminons notre périple oeno-judiciaire par une décision de la Cour d’Appel de Paris en date du 26 février 2016, sur recours contre une décision d’opposition de l’INPI, dans laquelle cette fois la société espagnole TORRES formait un recours contre le rejet de son opposition, sur la base de sa marque CELESTE, contre une société du Var ayant déposé la marque LES CELETTES.

L’INPI a rejeté l’opposition et la Cour confirme que « en dépit de la similarité et/ou de l’identité des produits couverts par les marques opposées, le consommateur ne pourra se méprendre sur l’origine respective de ces produits, tant est distincte la perception des signes en cause ».

La Cour retient la signification bien connue de l’adjectif CELESTE, que ne rappelle effectivement en rien l’expression LES CELETTES.

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