Septembre 2017

Vini Ma®k N°23 – Septembre 2017

En cette période de vendanges 2017, nous vous proposons d’effectuer une nouvelle « balade oeno-judiciaire » dans nos terroirs mais aussi hors de France, pour examiner un certain nombre de décisions de jurisprudence significatives en matière de marques vitivinicoles.

Notre nouveau numéro abordera également certaines décisions des juridictions communautaires particulièrement significatives concernant les conflits entre marques vitivinicoles et AOP ou IGP.

Débutons notre nouvelle balade dans le Bordelais, avec l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bordeaux le 30 mai 2017 à l’initiative de la Société Civile CHATEAU LAFITE ROTHSCHILD.

Sur la base de sa célèbre marque CHATEAU LAFITE ROTHSCHILD, elle s’est opposée à l’INPI en 2009 à l’enregistrement de demandes de marques française CHATEAU LAFITE et CHATEAU LAFITE GENDRE.

L’INPI avait reconnu fondées les oppositions et rejeté ces demandes de marques.

Puis, ayant eu vent de projets d’étiquettes de vins CHATEAU LAFITE, une procédure judiciaire a été intentée par le CHATEAU LAFITE ROTHSCHILD, aboutissant à une décision du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux en date du 3 novembre 2015, reconnaissant notamment des actes de contrefaçon par imitation de la marque CHATEAU LAFITE ROTHSCHILD.
bouteille et verre à pied
Sur appel formé par Monsieur GENDRE, la Cour d’appel de Bordeaux aborde la question très intéressante de l’éventuelle exception ou prévalence dont disposerait un toponyme sur une marque, exception souvent soulevée dans les prétoires.

La Cour retient qu’aucun des éléments produits par l’appelant n’était de nature à établir un « usage notoire continu et non équivoque du nom CHATEAU LAFITE pour désigner du vin qui aurait été produit sur cette propriété », l’appelant n’ayant acheté que des parcelles agricoles sans aucune mention de vignes.

Certes, une petite proportion de parcelles de ces vignes étaient situées au lieudit LAFITE, mais pour « un faible pourcentage du vignoble exploité ». En outre, le critère de vinification séparée n’était pas rempli.

La Cour conclut qu’« aucune disposition légale ne crée une exception ou une prévalence du toponyme sur la marque » et confirme le jugement, notamment sur le risque de confusion.

Restons dans le Sud-Ouest pour nous intéresser à la marque PREMIERES GRIVES de la société CHATEAU TARIQUET, désignant un vin d’appellation Côtes de Gascogne bien connu.

La Cour d’appel de Bordeaux a rendu le 6 juillet 2017 une décision intéressante n’abordant pas directement le fond mais laissant peut-être présager de ce que les juges du fond décideront, concernant la commercialisation par la société RAYMOND VINS FINS INTERNATIONAUX d’une marque PREMIER GIVRE.

La société TARIQUET estime que la marque PREMIER GIVRE imite la marque PREMIERES GRIVES et agit en référé aux fins d’interdiction provisoire de la poursuite de la fabrication et de la commercialisation des produits PREMIER GIVRE.

La Cour d’appel de Bordeaux confirme le bien-fondé de cette action, interdisant provisoirement à la société RAYMOND VINS FINS INTERNATIONAUX la poursuite de tous les actes d’exploitation de la marque PREMIER GIVRE, sous astreinte.

Prenons à présent la direction des Côtes du Rhône, plus précisément des Côtes du Rhône septentrionales avec la suite de la sage LA MOULINE / TERRASSES DE LA MOULINE.

La célèbre Maison GUIGAL, produisant le non moins célèbre vin LA MOULINE, avait fait condamner la société CAVE DE ROQUEBRUN en 2010 pour contrefaçon de la marque LA MOULINE par la commercialisation de vins sous la marque TERRASSES DE LA MOULINE.

Cette fois, c’est la commercialisation au Canada par la société CAVE DE ROQUEBRUN de vins étiquetés TERRASSES DE LA MOULINE qui a remis le feu aux poudres et conduit la société GUIGAL à assigner la société CAVE DE ROQUEBRUN en contrefaçon devant les juridictions françaises.

Le Tribunal de Grande Instance de Paris avait déclaré irrecevable sa demande tendant à la liquidation de l’astreinte prononcée par le précédent jugement, définitif.

La Cour d’appel de Paris considère dans son arrêt du 20 juin 2017, et c’est là le principal enseignement de cet arrêt, que si certes le vin n’est commercialisé qu’au Canada, « l’apposition en France d’étiquettes portant la dénomination TERRASSES DE LA MOULINE » est un acte de contrefaçon. En effet « la contrefaçon suppose un acte actif commis au lieu où l’évènement qui en est à l’origine est survenu ou risque de survenir et non au lieu où cet acte peut produire ses effets. En l’espèce, les étiquettes qui ont été nécessairement apposées sur les bouteilles en France, préalablement à leur exportation de telle sorte que l’acte de contrefaçon par apposition a bien été commis sur le territoire français ».

Restons en Côtes-du-Rhône, méridionales cette fois, avec 3 arrêts rendus le même jour (21 septembre 2017) par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence dans 3 affaires très proches : le Syndicat des Propriétaires Viticulteurs de Châteauneuf-du-Pape d’une part, titulaire de marques collectives,
et la Fédération des Syndicats de Producteurs de Châteauneuf-du-Pape d’autre part, titulaire de la marque collective, avaient formé opposition à l’INPI à l’encontre de la demande d’enregistrement déposée par l’Union des Maisons de Vins du Rhône pour la marque semi-figurative suivante :

L’INPI ayant fait droit aux oppositions et rejeté cette demande de marque, des recours sont formés. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme les décisions de l’INPI, retenant la présence des mêmes éléments verbaux mais aussi et surtout « un cercle à l’intérieur duquel se trouve un ensemble constitué en haut d’un élément conique proche d’une tiare, et en bas de 2 clés entrecroisées, le tout caractérisant les armes de la Papauté ». (Pour une affaire similaire cf. Vinima®k n° 20).

Remontons à présent vers la Bourgogne avec une décision d’opposition de l’INPI en date du 19 juillet 2017 illustrant de façon classique la problématique de l’homonymie en matière de marques vitivinicoles et la difficile coexistence de telles marques.

C’est la marque HONORE LUCE qui en fait les frais cette fois, suite à l’opposition de la société italienne TENUTE DI CASTELGIOCONDO E DI LUCE DELLA V S AGRICOLA SRL, titulaire de la marque semi-figurative.

Bien que le terme LUCE dans ce logo soit manifestement le terme italien signifiant lumière, il peut aussi et surtout, en France, être perçu, lu et prononcé LUSSE, et dès lors l’INPI considère que la simple adjonction du prénom Honoré n’écarte pas le caractère prédominant du terme LUCE, qui apparaît employé « comme le nom de famille d’une personne prénommée Honoré », créant ainsi un risque de confusion au détriment de la marque antérieure.

Rendons-nous à présent en Champagne, où la même mésaventure arrive à Monsieur Laurent COLLET, qui dépose à l’INPI la marque verbale LAURENT COLLET pour des vins d’appellation Champagne.

Sur opposition formée par la COOPERATIVE GENERALE DES VIGNERONS, titulaire de la marque antérieure COLLET, le Directeur Général de l’INPI rejette la demande d’enregistrement LAURENT COLLET.

Celui-ci forme un recours et par arrêt rendu le 14 septembre 2017, la Cour d’appel de Douai écarte le recours et confirme la décision d’opposition.
champagne flute

Elle retient de façon classique que le terme COLLET est prépondérant dans les deux marques et que ce mot « ne désigne pas les produits, objets de la marque, mais est un patronyme qui induit une identification à une famille ».

Elle écarte aussi l’argument selon lequel « certaines marques de vins de Champagne contiennent un même nom auquel il est adjoint un prénom », ce qui d’après la Cour « ne saurait suffire à considérer que dans le cas d’espèce, il n’existe pas de risque de confusion entre les marques COLLET et LAURENT COLLET ».

Au contraire, la Cour considère que dès lors que le mot COLLET est prédominant dans la marque verbale LAURENT COLLET, il existe un risque de confusion.

Restons en France pour une décision plus « transversale » et assez originale, puisqu’elle concerne la protection d’étiquettes de vins particulièrement caractéristiques.

Il s’agissait en l’occurrence d’étiquettes déposées par Monsieur Yves-Dominique PAGES ayant pour caractéristique de faire figurer, de façon très stylisée voire enfantine, les dessins et noms de mets, surtout des animaux, par référence aux vins auxquels ils sont associés, comme sur les exemples ci-dessous :

Après un contrat de licence, terminé, avec la société VINIVAL, la société LACHETEAU, aux droits de cette dernière, a continué à utiliser des étiquettes reprenant le même « concept » à savoir des illustrations renvoyant de façon ludique à la concordance entre des mets et des vins.

La Cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu le 12 mars 2014 avait accueilli les demandes de Monsieur PAGES à la fois en contrefaçon de marques et en parasitisme.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt très intéressant le 22 juin 2017, non pas tant sur la contrefaçon de marque, qui est confirmée, mais sur le parasitisme : après avoir rappelé que « les idées sont de libre parcours », la Chambre commerciale rappelle que « le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas un acte de parasitisme ».

On a en effet trop souvent tendance à oublier que le principe en droit français est la liberté du commerce ou libre concurrence, la concurrence déloyale et/ou parasitaire étant une exception.

La Chambre commerciale reproche à la Cour d’appel d’avoir qualifié de parasitisme le fait repris le même « concept » et d’avoir déposé « une marque complexe dans le style propre à celui-ci », à savoir la représentation « sur une bouteille de vin d’un dessin décoratif suggérant de façon ludique l’association du breuvage à un plat ».

La Chambre commerciale considère qu’« en statuant ainsi la Cour d’appel a violé l’article 1240 du Code civil et le principe de liberté du commerce et de l’industrie ».

Partons à présent hors de nos frontières pour nous rendre au Portugal, ou plus précisément pour commenter brièvement une décision d’opposition de l’INPI basée sur la marque bien connue de « vin vert » portugais GATAO et son logo caractéristique :

Sur opposition, le titulaire de cette marque a obtenu le rejet de la demande de marque française GAT’O Sarah Abitan déposée également en classe 33, considérant que bien évidemment GAT’O présente « un caractère essentiel » au sein du signe contesté et l’imitation de la « dénomination GATAO qui reste parfaitement perceptible et lisible et constitue spontanément l’élément par lequel le signe sera prononcé et mémorisé par le consommateur des produits en cause » (décision du 18 juillet 2017).

Restons au Portugal pour un fleuron viticole de ce pays, à savoir le Porto, et l’appellation d’origine correspondante (ainsi que sa version anglaise Port).

Dans un précédent numéro de Vinimark nous nous faisions l’écho de l’arrêt rendu par le Tribunal de l’Union Européenne le 18 novembre 2015, où les appellations d’origine Porto et Port, protégées par conséquent au niveau communautaire mais aussi par différentes dispositions de la loi portugaise, étaient opposées à une demande de marque européenne postérieure PORT CHARLOTTE, déposée par une distillerie anglaise pour désigner du whisky.

Sur le fond, le Tribunal de l’Union Européenne avait rejeté l’action en annulation intentée par l’INSTITUTO DOS VINHOS DE DOURO E DO PORTO, considérant que dans la marque contestée PORT CHARLOTTE, PORT faisait manifestement partie d’un tout avec le terme CHARLOTTE et ne portait aucunement atteinte aux AOP Porto ou Port.

L’arrêt considérait également que l’appellation Porto pouvait être protégée non seulement par le règlement communautaire mais également par la loi nationale portugaise.

La Cour de Justice vient le 14 septembre 2017 de se prononcer sur le recours formé par l’Office Européen (EUIPO) contre cet arrêt et confirme le jugement du TUE sur le fond, considérant que la marque PORT CHARLOTTE n’évoque pas les appellations d’origine Porto et Port.

En revanche, la Cour considère qu’une action fondée sur le droit communautaire contre une prétendue atteinte à une appellation d’origine ne peut pas être suppléée par la loi nationale.

Reste donc à l’INSTITUTO d’envisager une action séparée sur la base de sa loi nationale, le cas échéant.

Enfin, citons un autre arrêt intéressant de la Cour de Justice de l’Union Européenne rendu le 20 septembre 2017 dans une affaire ne concernant pas directement le domaine vitivinicole, mais parfaitement transposable : celui du conflit entre une marque européenne et une IGP et une marque collective correspondante désignant du thé.

Par 4 arrêts rendus le 12 octobre 2015, le Tribunal de l’Union Européenne avait apporté d’intéressants éclaircissements sur la définition de la renommée d’une marque européenne et ses différentes atteintes au sens de la réglementation communautaire.

Le TEA BOARD OF INDIA, titulaire de marques européennes collectives DARJEELING et DARJEELING & logo, mais aussi d’une IGP, s’opposait à des demandes de marques européennes DARJEELING désignant des articles de lingerie.

La question centrale était celle de la renommée des marques européennes collectives du TEA BOARD, qui prétendait que la renommée de son IGP DARJEELING avait en quelque sorte été « transférée » à ses marques collectives et que dès lors, des marques DARJEELING pour désigner des sous-vêtements et articles de lingerie était une atteinte à l’IGP DARJEELING.

La Cour de Justice vient donc de se prononcer en rejetant les pourvois formés contre ces arrêts par la société indienne THE TEA BOARD OF INDIA, en retenant fort clairement que « la fonction essentielle d’une marque collective de l’Union Européenne est de distinguer les produits ou les services des membres de l’association qui en est le titulaire de ceux d’autres entreprises, et non de distinguer ces produits en fonction de leur origine géographique » ce qui permet de conclure que « la possibilité que le public puisse considérer que les produits et les services visés par les signes en conflit ont la même provenance géographique ne saurait constituer un facteur pertinent pour établir leur identité ou leur similitude ».

Quant à l’atteinte à la renommée d’une marque antérieure, la Cour entérine l’appréciation du Tribunal selon laquelle le consommateur de thé n’est pas porté à croire que les sous-vêtements et services apparentés proviennent de la région Darjeeling, mais peut néanmoins être susceptible d’être attiré par les valeurs et les qualités positives liés à cette région.

L’affaire est donc renvoyée devant l’EUIPO, qui devra procéder à un nouvel examen complet des oppositions à la lumière des enseignements de la Cour, ce qui intéressera l’ensemble des titulaires des marques vitivinicoles.

Nous avons pu voir en effet ces dernières années combien était subjective la notion d’atteinte ou d’évocation par une marque vitivinicole à une AOP ou IGP antérieure.

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