Juin 2018

Vini Ma®k N°27 – Juin 2018

En cette fin de printemps, l’occasion nous est donnée de commenter un certain nombre de décisions de jurisprudence en matière de marques vitivinicoles, dont certaines étaient très attendues.

Nous commencerons par la fameuse affaire Caudalie PREMIER CRU et PREMIER GRAND CRU, qui vient de donner lieu à un arrêt de la cour d’appel de Paris le 30 mai 2018.

La société Caudalie, bien connue pour ses produits cosmétiques à base de polyphénols de raisins, a déposé entre 1998 et 2009 plusieurs marques SOIN PREMIER GRAND CRU et PREMIER CRU en classe 3. Elle fabrique et commercialise sous ces marques des crèmes de soins.

Estimant que le dépôt et l’usage de ces marques portaient atteinte aux mentions traditionnelles PREMIER CRU et GRAND CRU, le Conseil des Grands Crus Classés 1855, la Confédération des Appellations et Vignerons de Bourgogne et le Conseil des Vins de Saint-Emilion l’ont assignée notamment en nullité de ses marques, en agissements parasitaires et pour tromperie des consommateurs.

Le Tribunal de grande instance de Paris les ayant déboutés de toutes leurs demandes par jugement du 20 mai 2016, les trois syndicats professionnels font appel.

La cour confirme le jugement, en réfutant toute utilisation parasitaire de la mention PREMIER CRU. Les mentions traditionnelles sont protégées par le décret du 19 août 1921 et les règlements (UE) 1308/2013 (articles 112 et 113) et 607/2009 (article 40), mais en l’espèce, la cour, rappelant le principe de la liberté du commerce, considère qu’à aucun moment Caudalie n’a cherché à se placer dans le sillage des termes PREMIER CRU et GRAND CRU bien connus – et réglementés – , et n’a en particulier entrainé aucune dépréciation de la valeur économique attachée à ces termes dans le domaine du vin.

La cour ne retient pas davantage de pratiques commerciales trompeuses, estimant notamment que même si la société Caudalie et ses produits sont ouvertement issus de l’univers de la vigne et du vin, cette seule circonstance n’est nullement trompeuse.

De même, aucune évocation illicite des appellations d’origine contrôlée qui bénéficient du qualificatif PREMIER CRU n’est retenue à l’encontre de Caudalie.

Il n’y a pas davantage de publicité illicite en faveur des produits alcooliques, sur le fondement de la loi dite Evin. La cour retient en effet sur ce point que « l’utilisation de cette mention, même si elle fait référence à l’univers de la vigne et de la production viticole, n’est pas en soi évocatrice d’une boisson alcoolique identifiée, ce d’autant qu’elle évoque également des idées de qualité et de supériorité ».

Enfin, la cour refuse également d’annuler les marques déposées par Caudalie au motif d’une prétendue absence de caractère distinctif, retenant que « par son usage en dehors de ce domaine », la marque PREMIER CRU a acquis « une distinctivité » et que « son utilisation est inhabituelle et présente un caractère arbitraire pour évoquer la qualité des produits cosmétiques, ainsi de nature à distinguer les produits porteurs des mentions PREMIER CRU et SOIN PREMIER GRAND CRU de la société Caudalie de ceux d’autres entreprises ».

Le plus important est que cet arrêt reconnaît l’existence d’un « principe de spécialité », invoqué par la société Caudalie, faisant que « la protection due à la mention traditionnelle GRAND CRU est limitée aux produits de la vigne ».

Peu avant, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu le 4 avril 2018 un arrêt très intéressant en matière d’appellations d’origine et d’étiquetage du vin, plus précisément sur la problématique de noms d’unités géographiques plus petites que l’aire de protection d’une appellation.

Il s’agissait en l’espèce des marques CUVÉE DU GOLF DE SAINT-TROPEZ et LE GRIMAUDIN qui, avant l’entrée en vigueur du décret du 4 mai 2012 relatif à l’étiquetage et la traçabilité des produits vitivinicoles et à certaines pratiques œnologiques, ne posaient pas de difficultés particulières bien qu’elles reprennent le nom d’une unité géographique plus petite que celle à la base de l’AOP CÔTES DE PROVENCE.

La Cour de cassation estime que c’est à tort que les juges du fond ont considéré que le titulaire des marques CUVÉE DU GOLF DE SAINT-TROPEZ et LE GRIMAUDIN bénéficiait d’un droit exclusif d’exploitation dont ne saurait le priver le décret précité.

En effet, aucune disposition du droit de l’Union Européenne ne prévoit la possibilité de poursuivre l’utilisation d’une marque contenant ou consistant en un nom d’une telle unité géographique lorsque cette marque n’est pas conforme aux règles que les Etats membres établissent.

Il convient donc d’être vigilants en matière de marques consistant en des noms géographiques, lorsque ces noms se trouvent être compris dans l’aire géographique d’une appellation d’origine.

Problématique plus classique illustrée par l’arrêt abondamment commenté de la Cour d’appel de Bordeaux : l’affaire PETRUS / PETRUS LAMBERTINI.

La Cour a en effet rendu le 12 avril 2018 un arrêt infirmant le jugement de première instance qui avait vu le CHÂTEAU PETRUS, exploitant le fameux Pomerol éponyme, remporter la première manche contre la marque PETRUS LAMBERTINI utilisée pour des Côtes de Bordeaux.

La Cour d’appel considère que Petrus LAMBERTINI (nom latin du premier maire de Bordeaux élu par les Jurats de Bordeaux en 1208), ne portait pas atteinte à la marque antérieure PETRUS.

La Cour considère qu’il y a assez d’éléments de différenciation entre les deux vins, notamment la prédominance du patronyme LAMBERTINI, pour éviter un risque de confusion.

Cette affaire fait grand bruit et le CHÂTEAU PETRUS a d’ores et déjà formé un pourvoi en cassation.

Terminons par quelques décisions d’opposition de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) plus classiques :

En premier lieu, une décision d’opposition de l’INPI du 5 février 2018, définitive, a vu l’opposition du fameux CHÂTEAU CANTEMERLE contre une demande de marque CHÂTEAU HAUT KANTEMERLE couronnée de succès, fort logiquement.

Le 29 mars 2018, l’INPI accueillait également favorablement l’opposition formée par le CHÂTEAU LA TOUR DE SEGUR à l’encontre de la demande de marque verbale française CHÂTEAU CHAPELLE SEGUR.

Signalons également la décision du 9 avril 2018 opposant la marque semi-figurative  à une marque semi-figurative (étiquette) PINK LADIES DU CHATEAU SAINT-CHRISTOLY, représentée ci-après :

L’INPI retient que l’élément caractéristique dominant de la marque contestée est PINK LADIES,
quasiment identique à la marque antérieure PINK LADY, et accueille donc l’opposition.

Une décision intéressante également, celle rendue par la division d’opposition de l’INPI le 11 avril 2018 dans une affaire LEON DE B / LEON DE FRANCE.

Derrière LEON DE B se cache bien évidemment LEON DE BRUXELLES, mais qui n’invoquait que cette marque avec l’initiale B.

Mal lui en a pris puisque l’INPI considère que dans la marque LEON DE B, aucune origine géographique n’est perçue et que dès lors, face à la marque LEON DE FRANCE, les évocations sont totalement différentes.

Les signes produisant aux yeux de l’INPI une impression d’ensemble différente, il n’y a pas de risque de confusion et l’opposition est rejetée.

Signalons enfin une intéressante décision d’opposition du 7 mai 2018 dans laquelle le CHÂTEAU MONT-REDON, titulaire de la marque VIGNOBLE ABEILLE, a formé opposition avec succès contre une demande de marque française Cuvée LES ABEILLES MADIRAN, le terme ABEILLE étant considéré comme ayant un caractère essentiel au sein du signe contesté, CUVÉE étant d’usage courant et MADIRAN descriptif de l’appellation d’origine des produits.

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