Vini Ma®k N°32 – Octobre 2019
En cette période de fin de vendanges, voici un nouveau numéro de Vini Ma®k, consacré à un panorama jurisprudentiel en matière de marques vitivinicoles.
Commençons par la problématique récurrente de la difficile coexistence des marques vitivinicoles composées de ou comportant des noms patronymiques.
Nous commencerons par ce qui est sans doute le point final de la « saga » POYFERRÉ débutée en 2009 et commentée à plusieurs reprises dans Vini Ma®k.
Le 7 mai 2019, la Cour d’appel de Paris a rendu un nouvel arrêt, après deux cassations, qui vient confirmer un certain nombre de points mais surtout apporter des précisions importantes sur la déceptivité éventuelle d’une marque vitivinicole comportant un nom patronymique.
Rappelons qu’à l’origine de cette saga judiciaire, le célèbre CHATEAU LÉOVILLE POYFERRÉ, second Grand Cru Classé en 1855, avait déposé pour ses deuxième et troisième vins les marques françaises PAVILLON DE POYFERRÉ et LES CONTES DE POYFERRÉ.
Le DOMAINE DE JOUANDA, appartenant aux consorts DE POYFERRÉ et produisant depuis fort longtemps un Bas-Armagnac sous la marque BARON DE POYFERRÉ, a agi avec succès, après moult rebondissements judiciaires, contre ces deux marques, qui ont été annulées comme constituant l’imitation illicite de la marque antérieure BARON DE POYFERRÉ.
Reconventionnellement, la société FERMIERE DU CHATEAU LÉOVILLE POYFERRÉ et le GFA DES DOMAINES DE SAINT-JULIEN MEDOC, titulaire et exploitant de la marque CHATEAU LÉOVILLE POYFERRÉ, sollicitent la nullité de la marque BARON DE POYFERRÉ pour trois motifs :
– Déceptivité de la marque BARON DE POYFERRÉ, amenant les consommateurs d’attention moyenne à penser que le produit BARON DE POYFERRÉ a un lien direct avec le CHATEAU LÉOVILLE POYFERRÉ bien connu. Sur ce point, la Cour reconnait que si certes le CHATEAU LÉOVILLE POYFERRÉ bénéficie d’une certaine renommée, c’est également et même surtout dû au toponyme LÉOVILLE, pour retenir que le consommateur ne sera pas trompé sur l’origine géographique des produits désignés par la marque BARON DE POYFERRÉ.
– Contrariété prétendue de la marque BARON DE POYFERRÉ à l’ordre public : les appelantes invoquent la loi Evin, et plus particulièrement l’interdiction de toute publicité indirecte pour les boissons alcooliques et alcoolisées, mais la Cour rejette cet argument.
– Nullité fondée sur l’article L.713-6 du Code de la Propriété Intellectuelle plus précisément sur l’atteinte au nom POYFERRÉ. cette demande est également écartée comme étant nouvelle.
Par ailleurs, les appelantes soutiennent également que la marque BARON DE POYFERRÉ serait la contrefaçon par imitation de la marque CHATEAU LÉOVILLE POYFERRÉ mais la Cour déboute les appelantes de cette demande, considérant que si certes les signes comprennent à l’identique le même nom POYFERRÉ, les différences entre les deux marques sont prépondérantes par rapport à cette ressemblance unique et qu’il n’y a donc pas de risque de confusion.
Sur la même problématique, signalons une autre saga judiciaire déjà commentée dans de précédents numéros de Vini Ma®k, se déroulant cette fois en Alsace.
Entamée il y a cinq ans, cette saga concerne le nom patronymique ALBRECHT.
Sur oppositions, l’INPI avait refusé l’enregistrement de demandes de marques françaises MARIE & CECILE ALBRECHT, CECILE ALBRECHT et FAMILLE ALBRECHT, sur la base de la marque antérieure LUCIEN ALBRECHT.
Un risque de confusion avait été retenu.
Par un arrêt rendu le 3 juillet 2019, la Cour d’appel de Colmar confirme que l’usage du patronyme ALBRECHT seul pour désigner des bouteilles de vins d’Alsace « doit être considéré comme contrefaisant la marque LUCIEN ALBRECHT ».
En revanche, l’intimé utilisant désormais la marque MARIE & CECILE ALBRECHT – BLEGER, cet usage est également poursuivi comme prétendument contrefaisant.
La Cour écarte le grief de contrefaçon et considère que l’adjonction du patronyme BLEGER à la suite du patronyme ALBRECHT modifie substantiellement l’élément dominant ALBRECHT, de sorte qu’il n’existe pas de risque de confusion.
A signaler que la Cour retient également « le fait, non contesté, qu’il est courant dans le vignoble alsacien que plusieurs branches familiales exploitent des Domaines différents, précisément distingués par leur patronyme composé ».
Cela est d’ailleurs très courant dans beaucoup de régions viticoles françaises, pas seulement en Alsace.
La marque MARIE & CECILE ALBRECHT – BLEGER n’est donc pas considérée comme une contrefaçon de la marque antérieure LUCIEN ALBRECHT pour des vins d’Alsace.
Pour en terminer sur la problématique des noms patronymiques, citons une décision plus classique rendue par la division d’opposition de l’INPI le 11 juin 2019, dans une affaire mettant aux prises la marque antérieure ROUX PERE & FILS et la demande de marque postérieure GUSTAVE ROUX.
Sans surprise, après que le terme ROUX a été considéré comme présentant un caractère distinctif, l’INPI considère qu’il existe un risque d’association dans l’esprit du public, ce dernier étant susceptible de croire que les signes proviennent de la même entreprise ou d’entreprises économiquement liées.
Poursuivons notre balade oeno-judiciaire par une décision d’opposition de l’INPI en date du 11 juin 2019 impliquant la marque LE PETIT MOUTON DE MOUTON ROTHSCHILD.
Son titulaire, le GFA DES VIGNOBLES DE LA BARONNE PHILIPPINE DE ROTHSCHILD, s’opposait à une demande de marque postérieure LES PETITS BOUTONS.
Malgré des ressemblances phonétiques, l’INPI rejette fort logiquement l’opposition, considérant qu’en revanche, les différences d’ordre visuel et conceptuel sont très importantes et excluent tout risque de confusion.
Quelques jours plus tard, le 18 juin 2019, l’INPI rend une autre décision intéressante dans une affaire LES JAVEAUX / LA JAVELLE.
L’INPI retient des différences suffisantes entre les deux termes caractéristiques JAVEAUX et JAVELLE, pour permettre une coexistence.
Il est permis de s’interroger sur le choix d’une marque LA JAVELLE pour des boissons, mais ceci n’a rien de juridique.
Le 24 juin 2019, l’INPI accueillait favorablement l’opposition formée par le titulaire de la marque complexe n° 4269756, contre une demande de marque complexe .
La décision est classique mais intéressante, l’INPI reconnaissant le caractère dominant et distinctif de la dénomination MAMIE dans les deux marques, renforcé par la représentation d’une personne d’un certain âge.
Citons enfin la décision de l’INPI du 15 juillet 2019 opposant la marque BRUT ROYAL de la société POMMERY à la marque .
L’INPI rejette l’opposition formée par la société POMMERY, considérant notamment que la seule présence du terme ROYAL ou ROYALE « ne saurait suffire à faire naître un risque de confusion dans l’esprit du consommateur », et que ce terme n’est pas non plus « apte à retenir à lui seul l’attention du consommateur au sein des deux signes ».
De façon fort intéressante, l’INPI considère que « en présence de signes composés d’éléments peu ou pas distinctifs, le consommateur s’attachera aux spécificités de chacun des signes en cause en les appréhendant dans leur globalité ».
Il considère dès lors que la marque ne constitue pas l’imitation de la marque antérieure BRUT ROYAL.