Décembre 2021

Vini Ma®k N° 39 – Décembre 2021

Au sommaire de ce nouveau numéro de notre newsletter d’actualité du droit des marques vitivinicoles : retour sur les décisions marquantes de l’année 2021 : Morbier, Gorgonzola, La Doriane, Cognac, Champagne, Porto et Alsace , le menu est alléchant

Protection des AOP/IGP : de l’art d’en faire tout un fromage

Le numéro 35 de Vinim@rk se faisait l’écho de la décision attendue du 17 décembre 2020 de la Cour de Justice de l’Union européenne, dans l’affaire dite du Morbier, et dont les enseignements sont évidemment transposables à la matière vitivinicole.

Le Morbier, fromage bien connu fabriqué dans le massif du Jura, bénéficie d’une AOP depuis 2000. Il se caractérise par la présence d’une raie noire partageant le fromage en deux dans le sens horizontal.

Reprochant à une société concurrente de commercialiser un fromage sans cette AOP mais avec la même raie, le Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier l’assigne mais est débouté en première instance et en appel de son grief d’atteinte à l’AOP Morbier.
. La Cour de cassation, saisie, pose une question préjudicielle à la CJUE pour savoir si la reprise des caractéristiques physiques d’un produit couvert par une AOP, sans utilisation de la dénomination enregistrée, est une pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur.

La Cour répond par l’affirmative, confirmant ainsi son arrêt QUESO MANCHEGO (déjà du fromage) du 2 mai 2019.

Par voie de conséquence, la Cour de cassation, ainsi éclairée, rend son arrêt le 14 avril 2021 et énonce qu’une AOP bénéficie d’une protection non seulement contre une reproduction de son nom mais également contre des reproductions de la forme ou de l’apparence caractérisant le produit couvert par l’appellation, dans la mesure où de telles reproductions peuvent induire le consommateur en erreur quant à la provenance commerciale du produit.

Protection des AOP/IGP toujours, cette fois en matière de noms de domaine de l’internet : Gorgonzola en fait elle aussi tout un fromage

La protection des AOP et IGP incorporées dans des noms de domaine est délicate, contrairement à celle des marques et rares sont les décisions donnant raison aux plaignants.

L’on peut citer les décisions UDRP et SYRELI (procédures extrajudiciaires se déroulant devant l’OMPI et l’AFNIC) champagnes.fr, champagne.uk ou gorgonzola.best, mais rioja.com ou cava.com, pour ne citer qu’elles, n’ont pas abouti favorablement.
Le 30 mai 2021, le Centre d’Arbitrage et de Médiation de l’OMPI a rendu une décision qui vient confirmer la tendance récente à l’amélioration, toujours à propos du Gorgonzola mais évidemment transposable aux indications géographiques viticoles.
Le Consortium habilité à contrôler l’utilisation de l’indication géographique italienne et européenne « Gorgonzola » a obtenu le transfert à son profit du nom de domaine gorgonzola.blue, ce qui est très encourageant.
Il est vrai que cette décision est influencée par (i) la notoriété de cette appellation et (ii) par le fait que l’extension .blue rappelle évidemment la couleur de ce fromage.
Les indications géographiques moins connues bénéficieront-elles de cette jurisprudence ?

Similarité des produits : le vin et la bière sont des produits similaires

Ce n’est pas une nouveauté en soi mais la décision d’opposition de l’INPI en date du 20 mai 2021 La Doriane / Doriane confirme qu’aux yeux des consommateurs et donc du juge ou de l’INPI, une marque de vin peut s’opposer avec succès à une marque identique ou similaire désignant des bières.

La fameuse marque LA DORIANE en Condrieu, appartenant à la non moins fameuse Maison Guigal, s’est opposée avec succès à une demande d’enregistrement de marque DORIANE déposée par un brasseur de bière auvergnat, pour des bières en classe 32, le terme DORIANE étant accompagné de la représentation d’une montagne.

L’INPI retient que le consommateur normalement informé pourrait croire à une origine commune et rejette la demande de marque DORIANE pour des bières.

Protection et atteinte à une AOP : l’arrêt Champagne / Champanillo : un arrêt pétillant
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un important arrêt le 9 septembre 2021, précisant les contours de l’«évocation » illicite d’une AOP et renforçant encore la protection dont bénéficient les AOP (et les IGP) en particulier face aux marques.

La société espagnole GB exploite en Espagne des bars à tapas sous le signe Champanillo
Il est utile de préciser ici que (I) Champanillo signifie « petit champagne » en espagnol et que (II) dans ses publicités, GB utilise un support graphique représentant deux coupes remplies d’une boisson mousseuse.

Le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (CIVC) poursuit GB devant les juridictions espagnoles et, saisie en appel, l’Audiencia Provincial de Barcelone demande à la Cour d’interpréter le droit de l’Union européenne en matière de protection des produits bénéficiant d’une AOP lorsque le terme litigieux, en l’occurrence Champanillo, est utilisé non pas pour des produits, mais pour des services.
La Cour juge que le règlement (UE) n° 1308/2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles protège bien les AOP à l’égard d’agissements se rapportant tant à des produits qu’à des services. En effet, si le règlement ne permettait pas de protéger une AOP lorsque le signe litigieux désigne un service, l’objectif du texte consistant à sanctionner toute utilisation visant à profiter de la réputation associée à l’AOP ne serait pas atteint.
Le caractère très large de la protection dont bénéficient les AOP est ensuite confirmé par la Cour, qui se penche sur la notion d’«évocation » que permet de sanctionner l’article 103, § 2.
L’arrêt précise ou confirme deux points importants :
Tout d’abord, la notion d’«évocation » ne requiert pas que le produit couvert par l’AOP et le produit ou service concerné par le signe litigieux soient identiques ou similaires.
Ensuite, pour qu’il y ait évocation répréhensible, le critère déterminant est celui de savoir si le consommateur, en présence d’une dénomination litigieuse, est amené à avoir directement à l’esprit, comme image de référence, la marchandise couverte par l’AOP.
La Cour conclut que l’évocation est établie dès que l’usage d’une dénomination produit, dans l’esprit d’un consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, un lien suffisamment direct et univoque entre cette dénomination et l’AOP.

Protection des AOP/IGP : une victoire importante pour la marque collective chinoise COGNAC

Afin de lutter plus efficacement contre le fléau de la contrefaçon en Chine, un grand nombre d’appellations d’origine, en particulier françaises, ont obtenu le droit d’enregistrer en Chine des marques dites collectives, permettent de réagir plus efficacement.

L’appellation COGNAC vient à son tour de remporter une victoire très importante : début septembre 2021 , l’interprofession du Cognac a remporté une victoire majeure en Chine dans une affaire de contrefaçon : le tribunal chinois de Chengdu a reconnu que l’importation et la vente de faux produits portaient atteinte à la marque collective « Cognac », protégée en Chine depuis juin 2020 et a condamné les fabricants, importateurs et distributeurs des quelques 10 000 bouteilles de faux Cognac saisies à la douane de Chengdu en 2019.

Protection des AOP/IGP toujours : une victoire bienvenue pour le PORTO

Le 6 octobre 2021, c’est le Tribunal de l’Union européenne qui rendait une décision qui mérite l’intérêt, toujours sur la problématique complexe des conflits entre AOP /IGP et marques postérieures :

L’Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto, très actif dans la défense de l’AOP PORTO (et de son équivalent anglais PORT), a fait opposition auprès de l’Office de l’Union européenne (EUIPO) contre une demande de marque européenne PORTWO GIN désignant des spiritueux en classe 33.

La division d’opposition a d’abord rejeté l’opposition, avant que la Chambre de recours de l’Office ne revienne sur cette décision et ne considère, au contraire, que la marque PORTWO GIN portait bien atteinte à l’AOP PORTO.

Cette décision est confirmée par le Tribunal, qui rejette le recours formé par le titulaire de cette marque.

Pour le Tribunal, il y a bien atteinte à l’AOP antérieure en vertu du fameux article 103 du règlement 1308/2013 et sa notion très large « d’évocation ».

Cet arrêt mettra du baume au cœur de l’ODG Porto, après quelques tentatives infructueuses assez médiatisées (et commentées dans les précédents numéros de Vinimark), notamment le fameux arrêt PORT CHARLOTTE du 14 septembre 2017.

Marques viticoles patronymiques : une problématique récurrente

Si dans la plupart des terroirs la coexistence entre marques vitivinicoles patronymiques, notamment au sein de mêmes familles se passe plutôt bien, il e va différemment dans d’autres familles ou à propos de certaines marques.

La saga Albrecht en est un exemple.

A la suite de la cession du fonds de commerce de la société Domaine Lucien Albrecht à la société Wolfberger en 2012, incluant notamment les marques LUCIEN ALBRECHT et WEID pour désigner des vins, la famille Albrecht, cédante, a déposé les signes JEAN ALBRECHT, LE WEID DE JEAN ALBRECHT et FAMILLE ALBRECHT pour désigner les mêmes produits.

Dans son arrêt du 13 octobre 2021, se fondant sur l’arrêt Daimler de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 3 mars 2016), la Cour de cassation va reconsidérer sa position : « la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque, même lorsqu’elle est accueillie, ne caractérise pas un usage pour des produits ou des services […] en l’absence de tout début de commercialisation de produits ou services sous le signe. De même, en pareil cas, aucun risque de confusion dans l’esprit du public et, par conséquent, aucune atteinte à la fonction essentielle d’indication d’origine de la marque, ne sont susceptibles de se produire ».

Ce revirement va permettre de soulager le juge judiciaire. En effet, une action en contrefaçon dans le cas d’un simple dépôt n’étant plus utile, c’est l’INPI qui, en France, sera sollicité via les procédures d’opposition et d’annulation de marques. A première vue donc, il sera plus simple et plus économique de faire annuler une marque non encore utilisée.

Toutefois, certaines craintes peuvent naître de l’adoption de cette position et il n’est pas certain que la question ne se repose pas un jour.

Si désormais le titulaire d’une marque qui dépose sans intention d’usage mais pour bloquer la concurrence ne risque rien (c’est-à-dire ne risque plus d’être poursuivi en justice, avec frais d’avocat, dommages et intérêts – certes faibles – et article 700, mais uniquement une annulation devant l’INPI, sans frais pour lui), la conséquence ne sera-t-elle pas une envolée des dépôts de marques de barrage ? Or pendant cinq ans, les titulaires de telles marques pourront eux-mêmes agir en contrefaçon sans risque de déchéance, et bloquer ainsi le jeu de la concurrence et de la liberté du commerce. Faut-il y voir un possible « trade mark squatting » à l’instar du cyber squatting en matière de noms de domaine, rendu fréquent par l’absence de sanctions financières ?

 

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