Novembre 2016

Vini Ma®k N°18 – Novembre 2016

Nouvelle « balade oeno-judiciaire » dans nos terroirs, ce mois-ci, en commentant quelques décisions récentes en matière de conflits entre marques vitivinicoles.

Débutons notre périple dans le Languedoc-Roussillon, plus précisément en Languedoc dans l’appellation Saint-Chinian, par une décision qu’il est permis de trouver quelque peu sévère.

Sur opposition du CHATEAU LASCOMBES, invoquant la marque bien connue CHATEAU LASCOMBES en appellation Margaux, l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) rejette la demande de marque française LES COMBES NOIRES.

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Classiquement, l’INPI reconnaît tout d’abord l’identité ou la similarité des vins, quelle que soit la région.

Il retient ensuite des ressemblances prépondérantes entre les marques, dues notamment aux éléments verbaux LES COMBES et LASCOMBES, de même longueur et comportant huit lettres identiques dans le même ordre.

Ecartant l’impact du terme NOIRES et le fait que le terme COMBES est un terme du langage courant avec un pouvoir évocateur propre, l’INPI retient l’existence d’un risque de confusion loin d’être évident (INPI 22 septembre 2016).

Toujours en Languedoc Roussillon, signalons un intéressant arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence, 2ème chambre, rendu le 10 novembre 2016 illustrant la problématique des conséquences souvent fâcheuses de l’oubli de renouveler une marque.

La SCEA TARQUIN a déposé en 2000 une marque française DOMAINE ROZES pour des vins de pays, vins d’appellation contrôlée du Roussillon, mais a omis de la renouveler à son échéance.

Elle dépose donc une nouvelle marque et la société de droit portugais ROZES, ayant de la suite dans les idées puisqu’elle avait déjà formé opposition – sans succès – à la marque DOMAINE ROZES de 2000, s’oppose à ce nouveau dépôt sur la base de sa marque antérieure ROZES.

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Cette fois, l’INPI accueille l’opposition, retient les grandes ressemblances et la même impression d’ensemble se dégageant des deux signes, après avoir considéré que les produits, bien que les uns soient des vins portugais et les autres des vins du Roussillon, étaient identiques ou similaires.

Sur recours, la Cour d’Appel d’Aix en Provence confirme la décision de l’INPI et le risque de confusion.

3 En remontant dans la région du Rhône, doit tout d’abord être commentée une nouvelle décision d’opposition de l’INPI, en date du 2 octobre 2016, dans une affaire mettant aux prises deux marques DELICE DU RHONE.

Sans surprise, l’opposition du titulaire de la marque antérieure est accueillie favorablement et la demande de marque seconde en date rejetée.

Plus intéressante est la décision rendue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 4 octobre 2016 dans une affaire opposant les célèbres cavistes Etablissements NICOLAS à l’Interprofession des Vins d’AOC Côtes du Rhône et Vallée du Rhône, plus communément appelée INTER RHONE (ainsi qu’à l’INPI).

L’affaire est intéressante au regard des marques déposées : les ETABLISSEMENTS NICOLAS sont titulaires d’une marque semi-figurative LE VERRE GOURMAND ci-après reproduite :

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Elle s’oppose à l’enregistrement par INTER RHONE d’une marque semi-figurative .

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Sur recours, la Cour d’appel d’Aix en Provence a annulé, dans son arrêt du 11 décembre 2014, la décision de l’INPI qui avait accueilli favorablement l’opposition.

La Cour estimait qu’il n’existait pas de risque de confusion.

Les ETABLISSEMENTS NICOLAS forment un pourvoi mais la Chambre commerciale valide l’analyse effectuée par la Cour d’appel, notamment sur les éléments descriptifs d’un signe complexe qui « ne sont pas nécessairement négligeables au regard de l’impression d’ensemble que produit ce signe » et surtout en reconnaissant « que la Cour d’Appel, qui a énoncé que l’impression d’ensemble de ces deux signes permet de les différencier sans risque de confusion pour un consommateur d’attention moyenne, ne s’est pas prononcée au vu de leurs seules différences ».

L’appréciation factuelle et souveraine des juges du fond est donc validée par la Cour de cassation, même s’il est vrai que le rébus des ETABLISSEMENTS NICOLAS pouvait se lire aisément LE VERRE GOURMAND.

Rendons-nous à présent en Champagne pour une décision illustrant la problématique récurrente des noms patronymiques coexistant ou non en matière vitivinicole.fotolia_60685291

A l’initiative cette fois de la société CHAMPAGNE CHARLES LAFITTE, et non du CHATEAU LAFITE, une demande de marque française les-freres-laffitte est rejetée par l’INPI, dans sa décision d’opposition du 19 octobre 2016.

Les vins, bien qu’étant d’origines géographiques totalement différentes, sont une nouvelle fois reconnus comme étant des produits identiques ou à tout le moins similaires, et le patronyme LAFITTE ou LAFFITTE considéré comme ayant « un caractère essentiel » au sein de chacune des deux marques.

Les autres mentions de la demande de marque contestée, à savoir « Les Frères », « Vignerons Gascons » ainsi que le logo, ne sont pas jugées suffisantes pour écarter un risque de confusion.

Il y a là, on le constate, une divergence de vue avec l’affaire précitée LE VERRE GOURMAND, puisque dans ce cas les juges du fond avaient considérés que la mention « par Côtes du Rhône » et le cartouche n’étaient « pas nécessairement négligeables » et n’ont d’ailleurs pas été négligés.

Poursuivons notre « balade oeno-judiciaire » à Bordeaux. Parmi les nombreuses décisions caractérisant cette région, les deux suivantes méritent un commentaire.

Signalons tout d’abord une décision d’opposition de l’INPI en date du 24 octobre 2016 dans une affaire VEUVE DE LALANDE vs CHEVALIER DE LALANDE.

La demande de marque contestée CHEVALIER DE LALANDE, désignant des vins d’AOP Lalande de Pomerol, est sans surprise rejetée, les seuls termes, certes d’attaque, VEUVE et CHEVALIER, très courants et non distinctifs, n’étant pas suffisants à distinguer les deux marques.

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Surtout, la suite de la saga « BEYCHEVELLE » et de son fameux drakkar mérite un commentaire particulier : le CHATEAU BEYCHEVELLE, produisant le célèbre Saint Julien Château Beychevelle, dont l’étiquette est ornée du non moins célèbre drakkar, défend naturellement ce symbole contre toute forme d’embarcation plus ou moins nordique figurant sur des étiquettes de vins.

Reprochant à la société CGM Vins de commercialiser un vin d’appellation Bordeaux Supérieur avec une étiquette comportant un élément figuratif similaire au drakkar, la société CHATEAU BEYCHEVELLE l’assigne mais les juges du fond écartent son action au motif en particulier de l’absence d’un risque de confusion.

Or l’arrêt de la Cour de cassation du 6 septembre 2016 est intéressant en ce qu’il casse l’arrêt d’appel notamment sur la définition du consommateur pertinent effectuant la comparaison des signes.

Il retient très clairement que, contrairement à ce qu’avait retenu la Cour d’appel de Paris, pour laquelle le consommateur pertinent est un connaisseur des grands crus, « le risque de confusion doit s’apprécier en se fondant sur la perception du consommateur moyen de la catégorie des produits en cause, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ».

Cette décision vient confirmer un mouvement jurisprudentiel amorcé depuis quelques années et de plus en plus constant qui considère qu’en matière viticole comme en d’autres, et malgré la culture particulière existant en la matière en France, le consommateur n’est pas considéré comme quelqu’un s’y connaissant particulièrement mais est un consommateur d’attention moyenne comme pour tous produits.

Sur renvoi, il est donc possible que la Cour d’appel donne finalement satisfaction au CHATEAU BEYCHEVELLE.

Terminons enfin ce nouveau numéro de Vini Ma®k par une décision rendue non en matière de vins mais d’apéritifs, à propos du fameux Martini.

L’INPI, dans une décision du 18 octobre 2016, accueille favorablement l’opposition formée par la société BACARDI & COMPANY LIMITED, sur la base de sa marque MARTINI, contre la demande de marque française MARTINOT désignant des boissons alcoolisées mais également des vins d’appellation d’origine protégée et à indication géographique protégée.

Retenant les grandes ressemblances entre MARTINOT et MARTINI, et que les désinences respectives des deux marques ne sont pas suffisamment différentes, l’INPI retient un risque de confusion, certainement aggravé, plus ou moins consciemment, par la très grande notoriété de la marque MARTINI.

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