Mars 2015

Protection des marques viticoles en Chine : encore du nouveau

Il se passe décidément chaque année quelque chose d’important en Chine en matière de protection et de défense des marques, en particulier dans le domaine vitivinicole.

Les autorités chinoises avaient promis il y a quelques années de s’atteler à l’immense tache de la lutte contre la contrefaçon et peu à peu se dessine un paysage nouveau, destiné à améliorer la lutte contre la contrefaçon.

Ainsi, après la très importante loi sur les marques du 30 août 2013 entrée en vigueur le 1er mai 2014, c’est à présent un nouveau texte qui retient l’attention.

Le MOFCOM, branche du Ministère du Commerce Chinois, vient en effet d’élaborer une traduction « officielle » en chinois des mentions relatives aux vins importés en Chine.

Il s’agit d’un document intitulé « norme sur la terminologie des vins importés », et qui doit entrer en vigueur le 1er septembre 2015.

Ce long document contient une traduction en chinois, pour les principaux pays producteurs du monde, de l’Argentine aux USA en passant naturellement par la France, d’une liste exhaustive des appellations d’origine, indications géographiques, termes techniques, noms de cépages, terroirs et crus de ces principaux pays.

S’agissant de la France, le document va jusqu’à proposer une ou plusieurs traductions en caractères chinois des principales marques du Bordelais (sur la base des classements) et de Champagne.

Il est tout d’abord très important de souligner que ce document n’aura pas de force obligatoire, c’est-à-dire que les traductions qu’il contient ne s’imposeront pas.

En d’autres termes, les producteurs français de vins exportés vers la Chine ne devraient pas être obligés d’utiliser les traductions chinoises figurant dans ce document mais pourront continuer à utiliser les caractères chinois actuels.

Il est clair toutefois que ce document normatif a été élaboré pour une meilleure visibilité des vins importés en Chine et que ce caractère officiel incitera probablement à s’y référer.

Plus problématique est le cas des marques du Bordelais et de Champagne puisque le MOFCOM en propose des versions dites « officielles ».

La problématique des marques en caractères chinois est très classique et demeure aigue en Chine : en effet, l’on ne renouvellera jamais assez le conseil de systématiquement penser à protéger en Chine, non seulement les marques vitivinicoles en caractères latins (noms et/ou étiquettes), mais aussi et surtout en caractères chinois, même s’il y a plusieurs traductions possibles, et ce à titre défensif.

Le contentieux des marques en caractères chinois frauduleusement déposées par des tiers avant les titulaires légitimes est encore abondant et, malgré la nouvelle loi sur les marques précitée, il est encore difficile de prouver la mauvaise foi du déposant et de récupérer ces marques.

La publication du document du MOFCOM a pour conséquence que certaines traductions en caractères chinois de marques de châteaux du Bordelais ou de maisons de Champagne ne correspondent peut-être pas à celles que ces châteaux et maisons exploitent et ont actuellement protégé en Chine.

Or même si ces traductions, encore une fois, ne s’imposent pas, il est certain que leur publication fait courir un risque : celui que leur caractère « officiel », donc très vendeur auprès des consommateurs chinois, n’incite de nouveaux et nombreux trademark squatteurs chinois à déposer rapidement ces versions « officielles » si les châteaux ou maisons ne l’ont pas fait.
Weinlese Wachau

Ainsi, il est fortement recommandé de déposer à titre préventif en Chine les caractères chinois proposés par le document normatif du MOFCOM qui ne le seraient pas encore, même si une exploitation n’est pas envisagée, et ce pour éviter non seulement des frais et un aléa important pour les récupérer, mais même d’être « exproprié » par un déposant local de mauvaise foi le jour où l’on voudra l’exploiter.

L’on peut donc certes se réjouir de la volonté des autorités chinoises de régir et « juguler » les mentions figurant sur les étiquettes des vins importés, afin que le consommateur chinois s’y retrouve, tout en regrettant que malgré l’absence de caractère obligatoire de ces termes, la conséquence en est une sorte d’obligation de se protéger préventivement pour éviter de nouveaux dépôts frauduleux.



Le point sur les <.vin> et <.wine>

Nous suivons régulièrement l’évolution des débats sur la question très sensible des futures extensions en <.vin> et <.wine>, et les précédents numéros de Vini Ma®k se faisaient l’écho des précédents débats.

Malgré le parcours quelque peu chaotique de la délégation de ces extensions (aujourd’hui accordée à DONUTS), il semblerait bien qu’il n’y ait plus à ce jour d’obstacle majeur à leur ouverture.

En effet, un mécanisme de protection des indications géographiques devrait bel et bien être proposé, sous la forme d’une liste de noms réservés, qui serait établie et contractuellement protégée au sein de ces domaines de premier niveau : leur délégation ne serait alors possible qu’à des conditions bien définies, l’ICANN étant a priori chargé par ailleurs de s’assurer de la bonne tenue de ces engagements par les registres concernés.



La guerre des bulles : suite

Le 6 mars dernier, le Conseil d’Etat a annulé 33 des 36 cahiers des charges présentés par la Confédération des Vins à Indication Géographique Protégée de France, en vue de l’homologation d’IGP de vins mousseux, cahiers des charges qui étaient attaqués par la Fédération Nationale des Producteurs et Elaborateurs de Crémants (FNPEC).

Il s’agit d’une nouvelle décision dans la guerre des bulles que se livrent les AOC Crémants et les vins IGP Mousseux, les Crémants venant de remporter une nette victoire.

Certes, il semblerait que certains cahiers des charges n’aient pas été annulés faute d’antériorité de la production mais pour d’autres raisons et les Mousseux ne semblent pas avoir dit leur dernier mot.

Seuls 3 cahiers des charges ont été validés : IGP HAUTES ALPES, MAURE et VAR.

Actualité jurisprudentielle : marques vitivinicoles et contrefaçon

Nous commentons régulièrement des décisions de jurisprudence relatives à des conflits entre marques vitivinicoles, qui ont considérablement fait progresser ce droit depuis quelques années.

Voici ci-dessous résumées quelques décisions récentes présentant un intérêt certain, ainsi qu’une décision rendue à propos d’un conflit entre une appellation d’origine antérieure et une marque antérieure.

  • Citons tout d’abord une intéressante décision de la Cour d’Appel de Bordeaux, 1ère Chambre Civile, Section A, en date du 2 février 2015, qui voyait s’affronter, sur recours d’une décision d’opposition de l’INPI, la marque MOUTON CADET et une marque BREIZH’ CADET, destinée à désigner des bières, des apéritifs sans alcool, des eaux de vie de cidre de Bretagne, des eaux de vie de pore de Bretagne et des pommeaux de Bretagne.

L’INPI ayant considéré que, malgré les similarités entre ces produits et les vins désignés par la marque MOUTON CADET, cette dernière n’était pas imitée par la marque BREIZH’ CADET, la SA BARON  PHILIPPE DE ROTHSCHILD forme un recours.

Still Life with a glass of wine and grapes barrel

La Cour d’Appel de Bordeaux confirme la décision de l’INPI qui retient que les différences dues aux termes respectifs « MOUTON » et « BREIZH » sont déterminantes et que « l’impression d’ensemble donnée par les deux signes est différente », pour rejeter l’existence d’un risque de confusion.

  • Abordons à présent la suite de la « saga judiciaire » POYFERRÉ dont nous nous faisions l’écho dans les précédents numéros de Vini Ma®k.

Dans notre numéro de juin 2014 nous commentions l’arrêt de la Cour de Cassation du 13 novembre 2013.

Les consorts de POYFERRÉ, produisant un Bas-Armagnac sous la marque BARON DE POYFERRÉ, avaient assigné le grand cru classé de Saint-Julien CHATEAU LÉOVILLE POYFERRÉ en raison de dépôts de marques effectués par cette dernière pour PAVILLON DE POYFERRÉ et LES CONTES DE POYFERRÉ, portant atteinte à la marque antérieure BARON DE POYFERRÉ des consorts de POYFERRÉ.

Si la Cour de Cassation a confirmé que les marques PAVILLON DE POYFERRÉ et LES CONTES DE POYFERRÉ portaient atteinte aux droits des consorts de POYFERRÉ sur leur nom patronymique, elle avait en revanche cassé le précédent arrêt d’appel de 2012 sur la question de la déceptivité de la marque BARON DE POYFERRÉ, plus précisément sur la question de savoir si elle était de nature à tromper le public en faisant croire à ce dernier à l’existence d’un lien avec le deuxième grand cru de Saint-Julien produit sous la marque CHATEAU LÉOVILLE POYFERRÉ.

C’est cette question que tranche la Cour d’Appel de Paris le 6 février 2015, sur renvoi.

La Cour considère que cette marque n’est pas trompeuse et n’en prononce pas la nullité, étant composée d’une part du titre nobiliaire de baron ayant réellement été accordé à la famille de POYFERRÉ au 19ème siècle, et d’autre part du nom patronymique de POYFERRÉ et constitue le nom des propriétaires du domaine (nous rappelons qu’il s’agit du domaine de JOUANDA, produisant du Bas-Armagnac).

La Cour retient notamment qu’en raison des différences entre les Armagnac et les vins de Saint-Julien, « le consommateur concerné, qui voudra acheter ou aura acheté une bouteille de tels produits issus du domaine de Jouanda dans les Landes, et portant la marque BARON DE POYFERRÉ, ne sera pas amené à faire un lien avec le vin provenant de l’exploitation CHATEAU LÉOVILLE POYFERRÉ, située dans le Médoc et commercialisé sous la marque complexe éponyme ».

Cette décision a le mérite de confirmer que le consommateur français d’attention moyenne en matière vinicole possède un degré supplémentaire d’attention, par rapport à ses homologues dans d’autres secteurs d’activités, et qu’il sait tout de même, tout en n’étant pas un expert, distinguer des vins de régions différentes et/ou des boissons alcooliques aux caractéristiques différentes.

Sans nuire à la protection des marques vitivinicoles, ce mouvement jurisprudentiel participe au contraire d’une sage reconnaissance des spécificités des différents terroirs et de leurs vins.

Cet arrêt est également intéressant en ce qui concerne la forclusion par tolérance, sorte de prescription sanctionnant l’inaction du titulaire d’une marque antérieure.

Les appelants soutenaient en effet que l’action des consorts de POYFERRÉ était irrecevable en raison de la forclusion intervenue.

Or la Cour retient qu’aucun élément du dossier ne démontre que le CHATEAU LÉOVILLE POYFERRÉ avait, au jour de son action reconventionnelle en contrefaçon, effectivement connaissance de l’usage de la marque BARON DE POYFERRÉ et que dès lors, il n’avait pu y avoir tolérance et par voie de conséquence sanction de cette tolérance.

Enfin, sur la contrefaçon, la Cour d’Appel considère que malgré la similarité des produits respectivement désignés par les marques, la comparaison des signes fait ressortir des différences prépondérantes excluant « tout risque de confusion pour le consommateur d’attention moyenne ».

La Cour retient en particulier que sur le plan intellectuel, la marque CHATEAU LÉOVILLE POYFERRÉ évoque le domaine viticole LÉOVILLE sur lequel le vin est produit, tandis que la marque BARON DE POYFERRÉ reprend un titre nobiliaire.

  • Signalons enfin une intéressante décision opposant une appellation d’origine et une marque.

Il s’agit en l’espèce de l’appellation d’origine contrôlée MARGAUX.

Par décision rendue par la 4ème Chambre de Recours le 21 janvier 2015, l’Office de l’Harmonisation dans le Marché Intérieur (OHMI) a confirmé le précédent rejet par l’OHMI de la marque DOMAINE DE L’ÎLE MARGAUX et logo (étiquette) déposée en 2013 par la SOCIÉTÉ CIVILE D’EXPLOITATION DU DOMAINE DE L’ÎLE MARGAUX.

Il existe bien des vignes et du vin en provenance de cette île située dans l’estuaire de la Gironde et véritablement dénommée Île Margaux, mais ces vins portent l’appellation Bordeaux Supérieur et non MARGAUX.

L’OHMI considérait cette marque comme portant atteinte à l’appellation d’origine antérieure MARGAUX.

La question était donc de savoir si la demande de marque critiquée contient ou est composée d’une indication géographique destinée à identifier des vins, son titulaire indiquant qu’il fallait prendre ÎLE MARGAUX comme un tout.

Malgré une décision du TGI de Bordeaux remontant à 1982 et ayant semble-t’il considéré que la marque DOMAINE DE L’ÎLE MARGAUX ne portait pas atteinte à l’AOC MARGAUX, la situation est différente aujourd’hui et la marque DOMAINE DE L’ÎLE MARGAUX ne bénéficie pas de la dérogation de la protection d’une AOC pour les indications géographiques homonymes qui ont été utilisées et protégées en tant que telles avant la date de protection de l’AOC.

En l’espèce, la protection de l’AOC MARGAUX remonte à 1954 mais le titulaire de la marque DOMAINE DE L’ÎLE MARGAUX n’a commencé à utiliser cette dernière qu’en 1962.

Par conséquent, de façon très orthodoxe voire sévère, la Chambre de Recours considère que la demande de marque contestée reproduit l’indication géographique MARGAUX et doit être rejetée, et rejette le recours.

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