Juin 2016

Le numéro de juin de Vini Ma®k débutera par une très importante décision concernant la protection des appellations bordelaises en Chine puis sera ensuite en grande partie consacré à un bref panorama de décisions, soit d’oppositions, soit des tribunaux, particulièrement représentatives de la jurisprudence récente en matière de conflits entre marques vitivinicoles.

45 appellations bordelaises reconnues par la Chine

Le 2 juin, la Chine annonçait la reconnaissance officielle de 45 appellations de vins de Bordeaux.

Cette reconnaissance, survenant après celle de l’appellation Bordeaux (                          ) est une étape très importante dans la lutte contre les contrefaçons de marques viticoles du Bordelais en Chine, qui perdurent malgré le renforcement de l’arsenal judiciaire Chinois (40 % des vins importés seraient des faux).

La Chine est en effet encore trop souvent le théâtre de copies plus ou moins grossières de grands crus du Bordelais, certes avec force approximations, fautes d’orthographe voire mélanges entre concept et appellations de différentes régions, pour un contenu plus proche de la « piquette » que du grand cru.

La reconnaissance officielle de ces 45 appellations (cf liste sur Vitisphère Actualités, 6 juin 2016) permettra, en combinaison avec une coopération renforcée entre les professionnels français et les policiers chinois, de lutter plus efficacement contre la contrefaçon.

Panorama de jurisprudence

Ce panorama prendra la forme, selon une habitude désormais bien ancrée à Vini Ma®k, d’une « balade oeno-judiciaire » dans nos terroirs.

Débutons notre périple à Bordeaux, avec une intéressante décision d’opposition de l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI) du 18 mars 2016, opposant la marque verbale CHATEAU CHAUVIN, pour des vins de Saint-Emilion Grand Cru, à une demande de marque semi-figurative CHAUVIN SHOW 20.

Still Life with a glass of wine and grapes barrel

Sans réelle surprise, l’INPI retient le caractère dominant de la dénomination CHAUVIN, qui, s’il est peut-être un nom patronymique courant, est néanmoins l’élément distinctif de la marque antérieure mais également de la demande contestée.

L’INPI retient, malgré le jeu de mots SHOW 20, des ressemblances trop importantes de nature à créer un risque de confusion au détriment du consommateur concerné et fait droit à l’opposition.

Toujours à Bordeaux et toujours dans le cadre d’une opposition, signalons la décision de l’INPI du 18 mai 20016 dans une affaire où la Maison MALET ROQUEFORT, titulaire de la marque LEO BY LEO, s’opposait à une demande de marque LEO DE POMEROL.

Retenant le caractère dominant du terme LEO au sein des deux marques et l’absence de caractère distinctif des éléments DE POMEROL, l’INPI retient un risque de confusion et rejette la demande d’enregistrement de la marque LEO BY POMEROL.

Rendons-nous dans le Gers voisin, pour une décision dans laquelle l’INPI statue dans le cadre de la problématique très fréquente des conflits entre marques vitivinicoles comportant un nom patronymique.

En l’espèce, le GROUPEMENT D’ACHATS DES CENTRES LECLERC, titulaire de la marque RESERVE BERNARD CORDELIER, a fait opposition à l’encontre d’une demande de marque CORDELIER, opposition qui est reconnue fondée par l’INPI dans sa décision du 22 mars 2016, toujours sur le fondement, sans surprise, du caractère dominant et essentiel du patronyme CORDELIER au sein des deux marques concernées.

L’INPI retient un risque de confusion, le consommateur pouvant croire que ces marques proviennent de la même entité économique malgré, ou plutôt précisément en raison de, l’adjonction du terme non distinctif « RESERVE » et du prénom Bernard.

Rendons-nous à présent dans les vignobles de la Loire, où la société ALLIANCE LOIRE, ayant déposé une demande de marque SAINT-MARTIN en classe 33, se heurte à l’opposition formée par la SOCIETE NOUVELLE D’EXPLOITATION DES VINS DU CHATEAU DE SAINT MARTIN, titulaire de la marque antérieure CHATEAU DE SAINT MARTIN.

Sans surprise, l’opposition est accueillie favorablement par l’INPI dans sa décision du 21 avril 2016, en raison de la prépondérance des termes « SAINT MARTIN » dans chacune des deux marques, peu important l’origine géographique des vins respectifs.

A noter que le même jour une décision analogue était rendue, toujours contre la même marque SAINT-MARTIN, sur la base de l’autre marque antérieure de l’opposante, à savoir ST-MARTIN.

En Champagne, où la jurisprudence est toujours aussi pétillante, signalons une décision, classique mais représentative, rendue également par l’INPI sur opposition le 14 avril 2016, opposant la célèbre marque VEUVE CLICQUOT à l’une des nombreuses autres veuves de la région, fictives ou réelles, à savoir la (marque) VEUVE DUCLOS.

seau à champagne

L’argumentation sur le manque de caractère distinctif du terme « VEUVE » n’ayant pas été retenue, ce sont au contraire les fortes ressemblances entre les signes qui sont mises en avant par l’INPI, qui retient « la juxtaposition du terme « VEUVE », placé en attaque, à un nom de famille de longueur comparable (…) comportant les séquences de lettres CL et O et une prononciation en deux temps » ainsi que « une structure et un rythme identiques ».

Un risque de confusion est donc retenu par l’INPI entre VEUVE DUCLOS et VEUVE CLICQUOT, ce qui peut toutefois s’expliquer en partie par la renommée incontestable – et reconnue par l’INPI – de la marque VEUVE CLIQUOT, car encore une fois, de nombreuses veuves coexistent en Champagne.

Rendons-nous à présent en Bourgogne, où la société LEROY, très active dans la défense de ses marques, opposait sa marque semi-figurative LEROY bien connue (logo couronne) à une demande de marque JACQUES LEROY.

L’INPI considère que la simple adjonction du prénom Jacques ne suffit pas à tempérer les ressemblances prépondérantes dues au patronyme commun et dominant LEROY, le prénom Jacques risquant au contraire d’accréditer l’idée d’un membre de la famille LEROY.

Un risque de confusion est donc retenu par l’INPI dans sa décision du 24 mars 2016 et la demande de marque française JACQUES LEROY rejetée.

C’est une problématique analogue que l’on retrouve en Alsace, dans l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Colmar le 7 avril 2016, sur recours contre une décision d’opposition de l’INPI.

Ce dernier avait accueilli favorablement l’opposition formée par la société JEAN LEON sur le fondement de sa marque européenne JEAN LEON, contre une demande de marque française MICHEL LEON.

La Cour d’Appel de Colmar écarte tout d’abord l’argument fondé sur la différence d’origine des vins concernés, à savoir l’Alsace pour la marque JEAN LEON et des vins d’Espagne pour la marque MICHEL LEON, rien ne démontrant en l’espèce « que le public concerné par les boissons alcoolisées serait un public plus avisé que pour d’autres produits ».

L’on sait, sur ce point, que la jurisprudence est partagée et qu’il y a des décisions en sens contraire.

La Cour retient ensuite que le nom de famille LEON est dominant et distinctif, et que les prénoms Jean et Michel, particulièrement banals, ne suffisent pas à écarter un risque de confusion.

Cet arrêt est à rapprocher de l’arrêt rendu quelque temps auparavant par la même Cour d’Appel de Colmar sur la même problématique des conflits entre marques comportant un nom patronymique, celui-ci étant à l’époque le nom patronymique ALBRECHT (CA Colmar 15 octobre 2014, commenté dans un précédent numéro de Vini Ma®k).

Restons en Alsace pour une décision tout à fait intéressante et emblématique, puisqu’elle opposait une marque verbale
LA CIGOGNE à une marque purement figurative consistant en…la représentation d’une cigogne, déposée notamment – et sans surprise – pour des vins d’Alsace.

cigogne

Cette décision est intéressante en ce qu’elle se prononce sur la comparaison entre une marque verbale et sa représentation purement graphique, à savoir une cigogne.

L’INPI retient que la représentation de la cigogne est particulièrement claire dans la demande de marque contestée et que « le signe contesté sera vraisemblablement prononcé CIGOGNE ».

Dès lors, retenant des ressemblances conceptuelles ainsi que phonétiques (ce qui peut paraître tout de même quelque peu curieux, puisqu’un logo ne se prononce pas) entre les marques, l’INPI retient un risque de confusion et rejette la demande de marque figurative.

Il sera intéressant de voir si un recours est formé contre cette décision du 23 mars 2016, et en quel sens la Cour d’Appel se prononcera le cas échéant.

Rendons-nous à présent en Côtes du Rhône avec l’épilogue d’une saga judiciaire concernant non pas les marques viticoles mais la loi Evin et la lutte acharnée et parfois excessive de l’Agence Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie ( ANPAA) contre toute forme de publicité indirecte pour les boissons alcooliques.

 

 

 

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Le Tribunal de Grande Instance avait dans sa décision du 7 janvier 2015, commentée dans Vinima®k du même mois, rejeté en grande partie les prétentions de l’ANPAA qui reprochait à la campagne institutionnelle de l’interprofession des Côtes du Rhône d’être trop incitative : Seul un changement du slogan avait été ordonné.

La Cour d’appel de Paris vient, par son arrêt du 27 mai 2016, d’interdire globalement et définitivement cette campagne de publicité, y compris en son visuel, jugé trop incitatif.

Cette campagne était en tout état de cause en fin de vie.

Terminons notre balade oeno-judiciaire en Provence, dans le Var, où la guerre des rosés fait rage : le titulaire de la marque antérieure BULLES DE ROSÉ s’oppose à la demande de marque FINES BULLES DE ROSÉ de Real Martin.

Malgré la présence commune et frappante de l’expression « BULLES DE ROSÉ », l’INPI ne retient pas de risque de confusion et rejette l’opposition.

L’INPI retient pour cela que « l’expression commune BULLES DE ROSÉ apparaît évocatrice de la composition des produits que la marque contestée est destinée à désigner, de sorte qu’elle n’apparaît pas dotée d’un fort pouvoir distinctif à leur égard ; que l’adjectif FINES qui la précède dans le signe contesté contribue encore à la faire comprendre dans ce sens ».

L’INPI ajoute que l’expression « de Real Martin » n’est pas anodine mais au contraire très perceptible et que dès lors, compte tenu de l’absence de caractère distinctif de l’expression « BULLES DE ROSÉ » selon l’INPI, il n’existe pas de risque de confusion entre les deux marques.

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