Octobre 2021

Vini Ma®k N° 38 – octobre 2021

Au sommaire de ce nouveau numéro de notre newsletter d’actualité des marques vitivinicoles : une nouvelle balade oeno-judiciaire : Pouilly Fumé, Cognac, Porto, Bordeaux, Provence et…eau

Absence de contrefaçon de marque : Pouilly Fumé : le Comte est bon

La Cour d’appel de Paris vient, le 8 octobre 2021, de rendre un arrêt intéressant en matière de contrefaçon de marques vitivinicoles, plus particulièrement sur la comparaison des marques et étiquettes.
Exploitant les marques semi-figuratives Château de Tracy & logo et Mademoiselle de T & logo, pour désigner des vins d’AOC Pouilly Fumé, la société Château de Tracy avait assigné le Comte D’Estutt d’Assay, frère de la dirigeante du Château de Tracy, lui reprochant d’utiliser une marque Comte Henry d’Assay, avec une étiquette comportant notamment une couronne, pour des vins de la même appellation.

Après un jugement de première instance fort surprenant, où le Tribunal judiciaire de Paris se focalisait sur les quelques ressemblances secondaires entre les marques – contrairement à une jurisprudence bien établie (présence en bas des étiquettes déposées par le Château de Tracy du titre nobiliaire « Comtesse A. D’Estutt d’Assay »), la Cour infirme ce jugement et considère au contraire que les différences entre les marques l’emportent largement sur les quelques ressemblances et écarte la contrefaçon.
De même, aucun acte de concurrence déloyale n’est retenu à l’encontre du Comte et de sa société SAS COMTE HENRI D’ASSAY.

Protection des AOP/IGP : une victoire importante pour la marque collective chinoise COGNAC

Afin de lutter plus efficacement contre le fléau de la contrefaçon en Chine, un grand nombre d’appellations d’origine, en particulier françaises, ont obtenu le droit d’enregistrer en Chine des marques dites collectives, permettant de réagir plus efficacement.

L’appellation COGNAC vient à son tour de remporter une victoire très importante : début septembre 2021 , l’interprofession du Cognac a remporté une victoire majeure en Chine dans une affaire de contrefaçon : le tribunal chinois de Chengdu a reconnu que l’importation et la vente de faux produits portaient atteinte à la marque collective « Cognac », protégée en Chine depuis juin 2020 et a condamné les fabricants, importateurs et distributeurs des quelques 10 000 bouteilles de faux Cognac saisies à la douane de Chengdu en 2019. Il s’agit de l’aboutissement d’un long travail du BNIC (Bureau National Interprofessionnel de Cognac) et de ses équipes.

Protection des AOP/IGP toujours : une victoire bienvenue pour le PORTO

Le 6 octobre 2021, c’est le Tribunal de l’Union européenne qui rendait une décision qui mérite l’intérêt, toujours sur la problématique complexe des conflits entre AOP /IGP et marques postérieures :
L’Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto, très actif dans la défense de l’AOP PORTO (et de son équivalent anglais PORT), a fait opposition auprès de l’Office de l’Union européenne (EUIPO) contre une demande de marque européenne PORTWO GIN désignant des spiritueux en classe 33.

La division d’opposition a d’abord rejeté l’opposition, avant que la Chambre de recours de l’Office ne revienne sur cette décision et ne considère, au contraire, que la marque PORTWO GIN portait bien atteinte à l’AOP PORTO.
Cette décision est confirmée par le Tribunal, qui rejette le recours formé par le titulaire de cette marque.
Pour le Tribunal, il y a bien atteinte à l’AOP antérieure en vertu du fameux article 103 du règlement 1308/2013 et sa notion très large « d’évocation ».
Cet arrêt mettra du baume au cœur de l’ODG Porto, après quelques tentatives infructueuses assez médiatisées (et commentées dans les précédents numéros de Vinimark), notamment le fameux arrêt PORT CHARLOTTE du 14 septembre 2017.

Contrefaçon de marque : similitude des signes : une décision peu clémente

Sur action en nullité formée par le célèbre Château Pape Clément, Grand Cru Classé de Graves, l’INPI a considéré, dans sa décision du 21 juillet 2021, que la marque MADEMOISELLE CLEMENCE constituait l’imitation illicite des marques CHATEAU PAPE CLEMENT et LE CLEMENTIN DU PAPE CLEMENT.

L’INPI retient en particulier l’importance des prénoms, soulignés par Mademoiselle et Pape, respectivement, mais aussi la grande notoriété du Château Pape Clément, renforçant le risque de confusion et le risque que la marque MADEMOISELLE CLEMENCE soit perçue comme une déclinaison de cette célèbre marque.

Provence : tout n’est pas ros(é)

Toujours sur action en nullité devant l’INPI, désormais possible, signalons l’annulation par l’INPI, le 8 juin 2021, de la marque, certes astucieuse, LA VIE EN ROSÉ PROVENCE, sur la base de la marque antérieure LA VIE EN ROSE.

La différence conceptuelle due à l’accent aigu du mot Rosé n’a pas suffi à écarter de trop importantes ressemblances, en particulier dues à la structure caractéristique LA VIE EN ROS-aux yeux de l’INPI.

 

 

Contrefaçon : similarité des produits : on ne change plus l’eau en vin

Un arrêt du Tribunal de l’Union européenne en date du 22 septembre 2021 vient éclaircir un point qui, pour le grand public, ne semblait peut-être pas poser problème mais qui, dans la pratique du droit des marques, n’était pas clair : la similarité entre différents types de boissons, en l’occurrence alcooliques et non alcooliques.

La société portugaise Sociedade da Água de Monchique dépose le 25 juillet 2017 une demande de marque semi-figurative de l’Union européenne CHIC, pour des « boissons sans alcool ; eau en bouteille ; eau minérale non médicinale ; eaux minérales (boissons) » en classe 32.

  1. Pere Ventura Vendrell y fait opposition sur la base notamment de sa marque de l’Union européenne CHIC BARCELONA couvrant des « boissons alcoolisées à l’exception des bières ; vin ; vins effervescents ; liqueurs ; spiritueux ; eaux-de-vie » en classe 33.

Il invoque un risque de confusion et la division d’opposition de l’Office lui donne partiellement raison, considérant que les « boissons sans alcool » désignées par la marque contestée sont « similaires à un faible degré » aux « boissons alcoolisées à l’exception des bières » de la marque antérieure.
Ne mettant pas d’eau dans son vin, M. Ventura Vendrell forme un recours et obtient cette fois satisfaction de la chambre de recours, qui considère que l’« eau en bouteille, [l’]eau minérale non médicinale et [les] eaux minérales (boissons) » sont également similaires, plus précisément qu’il existe « un faible degré de similitude » entre ces produits et les « boissons alcoolisées » de la classe 33, la conduisant, à l’aune d’un degré élevé de similitude entre les signes, à retenir l’existence d’un risque de confusion.
La coupe est pleine pour Sociedade da Água de Monchique, qui saisit le Tribunal. Ce n’était pas la première fois que l’Office retenait une similarité entre boissons alcooliques et eaux, tout comme certaines juridictions nationales ont pu le faire. L’arrêt du Tribunal mérite dès lors l’attention, car il consacre de longs développements à la question.
Le Tribunal annule la décision de la chambre de recours et considère que les produits en cause sont bien différents, retenant notamment :

  • la nature différente des produits en cause ;
  • que pour une partie non négligeable du public de l’Union la consommation d’alcool est susceptible de poser un véritable problème de santé, au contraire des boissons non alcoolisées ;
  • que la finalité et l’utilisation des produits en cause sont différentes, les boissons non alcoolisées n’étant a priori pas destinées à étancher la soif et ne correspondant pas à un besoin vital ;
  • que les produits ne sont pas complémentaires ni concurrents, car pas interchangeables ; et
  • que les prix et les canaux de distribution sont différents, peu important qu’ils puissent être vendus dans les mêmes établissements.

Le Tribunal juge ainsi que les produits en cause ne sont pas faiblement similaires mais différents et écarte le risque de confusion.
Il est désormais clair comme de l’eau de roche que les boissons alcooliques et les eaux et autres boissons non alcooliques ne sont pas similaires, mais la solution serait sans doute différente dans une instance mettant aux prises des boissons non alcooliques telles que des bières sans alcool par rapport à des bières traditionnelles, ou des vins sans alcool, qui semblent se développer, comparés à des vins.
Une marque d’eau n’est donc plus un obstacle à une marque d’alcool, et inversement. Mais attention, la loi Evin est toujours là et pourrait néanmoins fragiliser l’usage d’une marque de boisson non alcoolique en raison d’une prétendue publicité ou propagande indirecte pour une marque d’alcool … Autre spécificité française !

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