Mai 2015

Ce mois-ci, Vini Ma®k s’offre une « balade œno-judiciaire » dans nos terroirs et commente un certain nombre de décisions récentes de jurisprudence en matière de marques vitivinicoles.

Cette jurisprudence a considérablement progressé ces dernières années, notamment sur un certain nombre de thèmes spécifiques liés aux toponymes, aux noms patronymiques, etc.

Débutons notre balade en Champagne.

Signalons tout d’abord une décision d’opposition rendue par l’INPI le 17 février 2015, opposant les champagnes NICOLAS FEUILLATE, titulaire de la marque française PALMES D’OR, au déposant d’une marque française CUVÉE D’OR.

Malgré le qualificatif laudatif commun D’OR, la Division d’opposition a considéré qu’il n’existait pas de risque de confusion entre CUVÉE D’OR et PALMES D’OR, se basant en particulier sur l’aspect conceptuel très particulier de l’expression « PALMES D’OR ».

Quelques jours plus tôt, les champagnes LOUIS ROEDERER s’en sortaient mieux, toujours devant la Division d’opposition de l’INPI, puisque cette dernière, par décision du 3 février 2015, accueillait favorablement l’opposition formée contre une demande de marque française LOUIS ROTHEINGER, retenant en particulier, et à juste titre, une architecture identique à la marque LOUIS ROEDERER composée du même prénom Louis suivi d’un nom patronymique très proche comportant les mêmes sonorités et séquences d’attaque et finales.

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Un risque de confusion est retenu.

Enfin, sur la question très sensible de l’usage du nom patronymique (cf. par exemple la saga bordelaise POYFERRÉ), le Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu le 12 février 2015 une intéressante décision concernant la marque et le nom TAITTINGER.

La SAS TAITTINGER entendait faire interdiction à Madame Virginie TAITTINGER, ancienne salariée du Groupe et membre de la famille éponyme, d’utiliser toute référence à la marque TAITTINGER alors même que la marque qu’elle avait déposée et utilisée était VIRGINIE T.

Madame Virginie TAITTINGER s’est vue reconnaître par le Tribunal qu’elle distinguait systématiquement son nouveau champagne de la marque notoire TAITTINGER, aucune mauvaise foi ne pouvant être retenue à son encontre, pas davantage qu’une concurrence déloyale et/ou parasitaire contrairement à un autre grief formé par la demanderesse.

Rendons-nous à présent dans le Jura, où un vin mousseux commercialisé sous la marque BRUT D’ARGENT s’opposait au déposant d’une demande de marque CUVÉE D’ARGENT.

Contrairement à l’affaire précitée PALMES D’OR / CUVÉE D’OR, LA MAISON DU VIGNERON, dans le Jura, a été écoutée par la Division d’opposition de l’INPI qui, dans sa décision du 6 mars 2015, a retenu un risque de confusion entre CUVÉE D’ARGENT et BRUT D’ARGENT, les deux termes « CUVÉE » et « BRUT » étant considérés par l’INPI comme évoquant les caractéristiques d’un vin.

Descendons en Côtes du Rhône.

C’est plus précisément au sein de la prestigieuse appellation Châteauneuf-du-Pape que deux décisions récentes méritent d’être signalées. Le 4 mars 2015, la MAISON CHAPOUTIER, titulaire de la marque LA BERNARDINE, s’est opposée avec succès à une demande de marque CUVÉE BERNARDIN, la Division d’opposition de l’INPI retenant des ressemblances prépondérantes entre BERNARDINE et BERNARDIN et l’absence de caractère distinctif du terme d’attaque « CUVÉE ».

Le 11 mai 2015, la SOCIETE FERMIERE DES VIGNOBLES PIERRE PERRIN, titulaire de la marque CHATEAU DE BEAUCASTEL pour le prestigieux cru éponyme de Châteauneuf-du-Pape, s’est opposée avec succès à une demande d’enregistrement CHATEAU DU HAUT CASTEL, le rythme identique et les sonorités d’attaque et finales identiques étant notamment retenus par l’INPI dans la constitution d’un risque de confusion.[1]

Rendons-nous à présent à Bordeaux.

L’actualité jurisprudentielle y est fournie.

Le 19 février 2015, la Division d’opposition de l’INPI, à l’initiative de la SOCIETE CIVILE DU VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR, a eu l’occasion de considérer qu’une demande de marque LA TOUR DE VIGNE constituait l’imitation de la marque CHATEAU LATOUR, correspondant au célèbre premier grand cru classé du Médoc, considérant que « LATOUR » et « LA TOUR » était les éléments distinctifs et dominants des deux marques, non suffisamment distingués par l’adjonction de l’expression « DE VIGNE ».

Sur un plan judiciaire, la Cour d’Appel de Bordeaux n’a pas chômé ces derniers temps avec, notamment, trois décisions intéressantes.

  • Le 9 mars 2015, la Cour, à l’initiative de la SOCIETE CIVILE CHATEAU CHEVAL BLANC, exploitant le célèbre premier grand cru classé A de Saint-Emilion, prononçait l’annulation de la marque Les trois chevaux The three horses, sur recours d’une décision d’opposition de l’INPI, sur la base de la marque antérieure LE PETIT CHEVAL du CHATEAU CHEVAL BLANC.
  • Une semaine plus tard, le 16 mars 2015, le GFA CHATEAU DE FIGEAC obtenait confirmation de la même Cour d’un jugement qui avait condamné la SCEA CHATEAU BADETTE, titulaire d’une marque Château Bellerose Figeac en appellation Saint-Emilion grand cru, pour déceptivité.

La déceptivité en matière de marques viticoles, sur le fondement de l’article L.711-3 CPI, est l’une des tendances majeures de la jurisprudence vitivinicole de ces dernières années, permettant d’obtenir l’annulation de marques lorsque le droit au toponyme correspondant n’est pas justifié, notamment par une trop faible proportion de raisins provenant de parcelles cadastrées avec ce nom, ce qui est le cas du Château Bellerose Figeac. La Cour considère que l’utilisation du nom FIGEAC par la SCEA CHATEAU BADETTE est de nature à induire le consommateur en erreur sur l’origine du vin commercialisé sous la marque Château Bellerose Figeac, en lui faisant croire qu’il s’agit d’un second vin du premier grand cru classé de Saint-Emilion CHATEAU FIGEAC.

  • C’est ce même fondement de la déceptivité qui était invoqué de nouveau par la SOCIETE CIVILE CHATEAU CHEVAL BLANC, cette fois-ci contre une marque DOMAINE DU CHEVAL BLANC et qui a conduit à un arrêt de la même Cour d’Appel de Bordeaux en date du 5 mai 2015, sur renvoi après cassation.

Toutefois, si la déceptivité pour tromperie des consommateurs était invoquée, la Cour a retenu que l’action en nullité du CHATEAU CHEVAL BLANC était prescrite. La Cour a en revanche accueilli la demande formée par le CHATEAU CHEVAL BLANC en contrefaçon, dirigée contre la dénomination sociale EARL CHAUSSIÉ CHEVAL BLANC de l’intimée, malgré l’adjonction du patronyme CHAUSSIÉ.

Bottles of wine and grapes on wooden background

Faisons un détour par le Cognac voisin.

La société CAMUS LA GRANDE MARQUE, titulaire de la marque CHATELLE désignant du cognac, s’est opposée à une demande de marque PHILIPPE LE CHATEL, auprès de l’INPI.

L’INPI lui a donné raison, reconnaissant une imitation de la marque CHATELLE par la marque PHILIPPE LE CHATEL.

Terminons notre balade par la Loire.

Deux décisions similaires :

  • La société CARREFOUR, titulaire de la marque REFLETS DE FRANCE, a obtenu de la Division d’opposition de l’INPI, le 18 mars 2015, le rejet d’une demande de marque REFLETS DE LOIRE, malgré les différences entre LOIRE et FRANCE.
  • Le 25 mars 2015, la Division d’opposition de l’INPI accueillait, en sens inverse, l’opposition formée par la société ALLIANCE LOIRE, sur la base de sa marque VALLÉE LOIRE, contre une demande de marque postérieure LOIRE VALLEY BRUT.

Cette brève balade oeno-judiciaire illustre la diversité de nos terroirs et la spécificité des marques vitivinicoles, auxquelles la jurisprudence de plus en plus fournie ces dernières années confère désormais une protection bien établie.

[1] Décision encore susceptible de recours

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