Vini Ma®k N° 42 – octobre 2022
Au sommaire de ce nouveau numéro de notre newsletter d’actualité du droit des marques vitivinicoles : retour sur de récentes affaires judiciaires ou actualités des marques vitivinicoles et indications géographiques : Champagne, Cognac, pratiques trompeuses à Bordeaux, Camembert
Champagne : la saga Taittinger
Par son arrêt du 22 juin 2022, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a mis un terme à la saga judiciaire TAITTINGER, entamée en 2015 et dont Vinim@rk s’est régulièrement fait l’écho.
Rappelons que la Maison Taittinger reprochait à Virginie Taittinger, membre de la famille mais ayant cessé ses fonctions dans cette maison, de se référer à son patronyme pour commercialiser son propre Champagne sous la marque Virginie T
Les conflits entre marques patronymiques sont fréquents dans les régions viticoles, notamment en Champagne, et cette décision permet de mieux cerner les limites de la marque par rapport à l’usage loyal de son nom patronymique.
Les juges du fond ont en l’espèce débouté la Maison Taittinger, estimant que Virginie Taittinger pouvait se prévaloir de justes motifs d’exploitation de son nom patronymique, l’usage du signe Taittinger ayant par ailleurs été fait conformément aux « usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale ».
La Cour de cassation retient que le nom patronymique Taittinger « n’est utilisé qu’à titre de nom de famille ou pour souligner, à travers le rappel de l’histoire familiale et de son parcours professionnel, l’expérience et le savoir-faire acquis par [Madame Taittinger] en matière de champagne ».
Champagne suite : l’affaire Ruinart
Beaucoup de jurisprudence en Champagne, dont la décision du Tribunal judiciaire de Paris du 8 juillet 2022 dans l’affaire Ruinart / Frèrejean Frères, à propos de la protection des marques tridimensionnelles de bouteilles.
Était en cause la célèbre bouteille Ruinart blanc de blancs, protégée par un dépôt de marque tridimensionnelle.
La Maison Ruinart agissait contre la bouteille de champagne SOLAIRE, de la Maison Frèrejean Frères lui reprochant une atteinte à la renommée de sa bouteille et de sa marque et des actes de parasitisme :
Malgré la renommée reconnue de la bouteille Ruinart, le Tribunal déboute la Maison Ruinart de ses demandes, niant le « lien » que peut faire le consommateur entre la bouteille renommée Ruinart et la bouteille attaquée et partant l’atteinte à la renommée de cette marque.
Le Tribunal considère que cette bouteille est une combinaison d’éléments eux-mêmes banals et faiblement distinctifs, et que dès lors, les faibles différences entre les bouteilles en litige, de même que els différences dues aux marques verbales respectives (Ruinart / Frèrerejean Frères et Solaire) excluent toute atteinte
De même, aucun comportement parasitaire n’est retenu à l’encontre de la Maison Frèrejean Frères.
Lorsqu’on sait qu’en matière – voisine – de contrefaçon, l’appréciation de l’atteinte se fait d’après les ressemblances et non les différences, un appel de cette décision est hautement probable.
Cognac
Retour sur la décision de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) COGNAPEA, 26 août 2022.
On le sait, les AOP et IGP bénéficient d’une protection très large, allant bien au-delà du risque de confusion du droit des marques, puisque peut notamment être sanctionnée, en vertu du Règlement (UE) 2019/787 du 17 avril 2019, une simple « évocation », ouvrant ainsi la porte à de multiples atteintes possibles.
L’appellation COGNAC a obtenu le 26 août dernier de la part de l’INPI une décision d’opposition (définitive si pas de recours – à suivre) fort intéressante.
Le Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC), avec à ses côtés l’INAO, a fait opposition contre la demande de marque semi-figurative COGNAPEA, désignant pourtant des produits bénéficiant réellement de cette appellation.
L’INPI accueille l’opposition, retenant que le signe litigieux incorpore partiellement l’AOP COGNAC, et y voit une « évocation » au sens de la règlementation européenne, de nature à entraîner un affaiblissement de sa réputation en la banalisant, et ce alors même que cette marque désignait des produits bénéficiant de l’AOP.
Bordeaux : marques domaniales et commerciales et pratiques trompeuses : une problématique préoccupante et pour le moment unanime
Les précédents numéros de Vinima®k se sont fait l’écho des décisions rendues par le Tribunal correctionnel de Bordeaux depuis 2019 à propos des étiquettes des vins de négoce Le Bordeaux de Maucaillou, Le Bordeaux de Larrivet Haut-Brion, Le Bordeaux de Citran puis le Bordeaux de Gloria (N° 40, janvier 2022) et enfin le Bordeaux de By le 2 juin 2022.
La problématique est simple : le fait pour une maison de négoce affiliée à un Château (bien connu) dans une appellation du Bordelais de commercialiser un vin d’assemblage, ne provenant donc pas dudit Château, en appellation « générique » Bordeaux, avec une étiquette reprenant le terme dominant et les éléments visuels de la marque domaniale, constitue t’il une pratique commerciale trompeuse pour les consommateurs ?
A chaque fois le Tribunal a répondu par l’affirmative mais il est vrai que les maisons de négoce étaient allées un peu loin dans la reprise de l’identité visuelle des Châteaux concernés.
Depuis, Maucaillou a fait appel mais mal lui en a pris, puisque le Bordeaux de Maucaillou a vu sa condamnation confirmée en appel le 30 juin 2022 par la Cour de Bordeaux, réduisant toutefois l’amende principale de 200 000 à 150 000 Euros. La Cour relève elle aussi que « les différents éléments visuels graphiques et textuels induisaient le consommateur moyen à penser acheter un vin issu des vignes de la propriété Maucaillou, en l’absence de mentions explicites « négociants » ou « vin de négoce ».
Cette décision a notamment pour intérêt de préciser la définition du consommateur de référence, qui est un consommateur moyen de vin, aux connaissances modestes.
L’appel formé par le Bordeaux de By sera donc examiné attentivement.
Pour l’instant il s’agit toujours d’une jurisprudence bordelaise, essaimera t’elle dans d’autres régions?
Saint-Emilion : le nouveau classement
Quelques mois seulement après que le classement de…2012 ait été validé par la Cour administrative d’appel de Bordeaux, le nouveau classement, de 2022 donc, a été divulgué le 8 septembre 2022.
On savait déjà que Ausone, Angelus et Cheval Blanc, précédemment premiers grands crus Classés A, et La Gaffelière, premier grand cru classé B, excusez du peu, ne concouraient pas (privant tout de même de pas mal d’intérêt ce nouveau classement).
Le classement 2022 consacre 85 grands crus classés de Saint-Emilion, dont 2 premiers grands crus classés A (Pavie et désormais Figeac) et 12 premiers grands crus classés B.
Passons au fromage avec le Camembert de Normandie :
En janvier 2021, un avis de la Direccte faisait interdiction à certains industriels normands d’utiliser la mention « Fabriqué en Normandie » sur les étiquettes de leurs camemberts car ils ne respectaient pas les règles contraignantes de l’AOP « Camembert de Normandie » (au lait cru et moulé à la louche).
L’un d’eux, la coopérative Isigny Sainte-Mère, porte l’affaire devant le Conseil d’Etat, y voyant une injustice puisque son lait provenait de Normandie.
Le Conseil d’Etat rejette sa requête dans son arrêt du 22 juillet 2022, confirmant ainsi l’interdiction et soulignant que « l’interdiction (…) de la mention « fabriqué en Normandie » n’empêche aucunement les producteurs concernés de mentionner le nom et l’adresse de l’entreprise de fabrication ».